Découvrez le discours d’Erick LACOURREGE, Directeur Général des moyens de paiement de la Banque de France, à l’occasion du Sommet CB célébrant les 40 ans du Groupement des Cartes Bancaires.
« Monsieur le Président, cher Jean-Paul,
Monsieur le Directeur Général, cher Philippe,
Mesdames, messieurs,
C’est avec grand plaisir que je vous adresse ces quelques mots à l’occasion du 40e anniversaire de Cartes Bancaires.
Tout d’abord, pardonnez-moi de ne pas pouvoir être présent parmi vous : je suis retenu à la Banque Centrale Européenne à Francfort, qui est presque mon deuxième bureau, et je n’ai hélas pas pu me soustraire à cet engagement.
Je suis vraiment honoré que CB m’ait demandé de m’associer à vous par ce propos introductif. En tant que Président du Comité National des Moyens de Paiements, responsable des paiements retail au sein de notre banque centrale, et acteur très engagé au sein de l’Eurosystème, je suis particulièrement attentif à la trajectoire de CB.
Pourquoi cet anniversaire est-il important ? Tout simplement parce que CB tient une place centrale dans l’écosystème français et européen des paiements.
Comme vous le savez sans doute, j’ai eu le plaisir de présenter mi-octobre la nouvelle stratégie nationale des moyens de paiements pour 2025-2030, élaborée par le Comité national des moyens de paiement (CNMP). Dans un monde de plus en plus mouvant et incertain, l’adoption de cette nouvelle stratégie nationale permet de fixer le cadre de l’action commune du secteur français des paiements pour les années à venir.
Pour cette nouvelle stratégie, nous avons choisi de continuer de nous fonder sur un principe cardinal, qui guide notre action depuis la création du Comité National des Paiements Scripturaux – ancêtre du CNMP – en 2015 : le libre choix des moyens de paiements. Cela vaut tant pour les consommateurs que pour les entreprises : tous et toutes doivent pouvoir disposer au quotidien des moyens de paiement qui répondent à leurs besoins, qu’il s’agisse de moyens de paiements traditionnels comme les espèces ou des solutions de paiements numériques les plus innovantes.
Pour tenir compte également des évolutions du marché des paiements au cours de ces dernières années et répondre aux attentes des utilisateurs, des acteurs de marché, mais aussi de la société au sens large, nous avons choisi d’articuler cette nouvelle stratégie nationale autour de trois axes principaux :
Tout d’abord, l’axe 1, « Confiance et durabilité », qui intègre les ambitions en matière de sécurité et de résilience des paiements, mais aussi d’accessibilité, d’inclusion et d’empreinte environnementale.
Ensuite, l’axe 2, « Anticipation et innovation », qui reprend l’ambition de paiements modernes et répondant aux nouveaux besoins et usages des consommateurs et des entreprises.
Et, enfin, le troisième axe, « Attractivité et souveraineté », qui défend de façon plus affirmée que par le passé l’ambition de moyens de paiement souverains en France et en Europe, dans une logique de partenariat entre secteurs public et privé.
Ces trois axes sont particulièrement structurants quant à la direction à suivre pour nous tous dans le développement des paiements ces prochaines années.
En tant que scheme national historique, ancré au cœur de l’écosystème français des paiements, CB s’inscrit très naturellement et directement dans chacun de ces 3 axes. Et de fait, il est appelé à être un partenaire important de nombre des actions prévues dans cette stratégie.
Je souhaiterais donc partager avec vous un peu plus concrètement les principales idées que nous souhaitons porter derrière chacun de ces trois axes, et la manière dont l’écosystème CB sera appelé à contribuer aux différents volets de cette stratégie.
L’axe 1, « Confiance et durabilité » : il s’agit tout d’abord de permettre des paiements qui soient toujours plus sûrs et qui, pour ce faire, puissent s’adapter à l’évolution des menaces. En ce sens, la sécurité des paiements et la lutte contre la fraude resteront évidemment des priorités, et l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) amplifiera ses actions, notamment avec son travail de veille technologique pour anticiper les nouveaux défis. À cet égard, CB est, depuis la création par la loi de l’Observatoire, en 2001, un partenaire central des actions de sécurisation et de lutte. Le rôle de CB est, et demeurera important dans notre stratégie pour renforcer la sécurité des paiements face à des menaces qui évoluent. Je pense par exemple à la capacité à anticiper les risques liés à l’informatique quantique, et à l’utilisation de services de scoring toujours plus efficaces, appuyés sur l’usage de l’intelligence artificielle.
Mais garantir la confiance et la durabilité de notre écosystème des paiements implique aussi de prendre en compte les nouveaux enjeux émergents que constituent l’inclusion et le respect de l’environnement, dont l’importance va croissant dans notre société.
La numérisation accrue des paiements est, certes, gage de paiements plus efficaces et innovants, mais ce mouvement doit aussi être accompagné pour garantir des paiements inclusifs, utilisables par tous. Cela suppose de mieux s’adapter aux besoins des personnes en situation de handicap ou qui ne sont pas à l’aise avec les outils numériques. Les pratiques d’encoche sur les cartes, ou encore les cartes parlantes pour les personnes malvoyantes, constituent ainsi des pistes que nous suivons avec intérêt, pour garantir des paiements plus accessibles et plus inclusifs.
La lutte contre le changement climatique constitue également un enjeu majeur pour l’ensemble de la société, et le secteur des paiements a un rôle important à jouer dans ce domaine. Aussi la stratégie nationale des moyens de paiement visera-t-elle à faciliter la coordination des différentes études conduites sur l’empreinte carbone des paiements, qui permettront d’éclairer l’écosystème des paiements sur les bonnes pratiques en matière environnementale. Pour cela, nous saluons notamment le travail fait par plusieurs membres CB sur le choix des matériaux utilisés pour la fabrication des cartes ainsi que sur le recyclage des cartes.
Répondre aux nouveaux enjeux suppose aussi de penser les nouveaux usages.
C’est pourquoi notre axe 2, « Anticipation et innovation », vise à encourager et accompagner l’innovation dans nos paiements du quotidien.
Dans cette nouvelle stratégie, nous continuons ainsi de soutenir pleinement le développement de nouveaux usages pour répondre aux besoins des consommateurs, notamment avec l’open payment, qui permet par exemple de prendre un transport public en utilisant sa carte comme ticket, pour lequel CB a déjà développé des offres, et qui est amené à se développer partout sur le territoire. Nous pensons également que le développement du PIN online ou « sans contact plus », poussé par CB, pourrait aussi continuer de dynamiser les paiements sans contact et faciliter ainsi l’usage des paiements pour les consommateurs.
Je vous parlais en introduction de l’attention portée à la liberté de choix pour les utilisateurs. Cela passe notamment par la capacité à préserver un haut niveau d’accessibilité aux espèces. Si la France est plutôt parmi les pays européens les mieux lotis en termes de parc de DAB, des rationalisations sont envisagées dans un certain nombre d’établissements bancaires : il est donc important de pouvoir proposer à nos concitoyens des formes alternatives d’accès aux espèces, tels que le retrait d’espèces en magasin, mais aussi de pouvoir garantir, ensemble, le maintien des temps d’accès actuels de nos concitoyens aux points de distribution.
Depuis 1984, CB joue un rôle clé dans le développement des paiements par carte et par mobile, en y intégrant à chaque fois les dernières évolutions technologiques et sécuritaires. On peut penser au déploiement de la carte à puce évidemment mais aussi, plus récemment, aux technologies d’authentification des cartes bancaires ou encore à l’adoption de cartes biométriques ou du « sans contact ».
Dans le prolongement de ces innovations passées, l’identité électronique va devenir un élément clé de la confiance dans l’écosystème numérique, et je salue à ce titre l’émergence du projet b.connect qui permettra de valoriser le savoir-faire des banques et de l’interbancarité française. Il s’agit là d’apporter un chainon manquant à notre écosystème numérique, et je suis convaincu de la complémentarité de ce nouveau service avec ce qu’apporte CB en matière de sécurité dans les paiements.
Toujours dans cette lignée, la stratégie nationale apporte également son soutien aux innovations annoncées par CB dans son propre plan stratégique sur la partie « paiement mobile », en particulier en se fondant sur la tokenisation. En matière de paiement mobile, l’intégration des cartes CB au sein des X-Pays (Apple Pay, Samsung Pay, par exemple) permettra d’accompagner les nouveaux usages et contribuera à pérenniser le réseau national sur les supports les plus numériques. En matière de facilitation de paiement, le Card on file ou le développement du Click to Pay apparaissent également comme des innovations porteuses pour conjuguer adaptation aux nouvelles demandes et souveraineté des paiements.
Ce dernier point constitue l’élément central du troisième axe de notre stratégie, auquel j’arrive désormais.
Cet axe 3, « Attractivité et souveraineté », affirme ainsi une ambition forte de moyens de paiement souverains en France et en Europe. Et c’est un sujet sur lequel CB joue et doit continuer à jouer un rôle central pour l’écosystème français des paiements.
La nouvelle stratégie affirme en effet la volonté de préserver la place centrale du réseau national de cartes CB. Pour cela, nous soutenons très fortement le co-marquage des cartes de paiement, et nous encourageons les initiatives en ce sens sur tous les segments d’usage de la carte, y compris les plus innovants (mobile, internet, abonnements…). Ces pratiques garantissent en effet à la fois la compétitivité des prix pour les commerçants et la localisation du traitement des données personnelles de paiement sur le sol français. Permettez-moi d’insister sur ce point majeur : la période des 5 années de notre nouvelle stratégie des paiements doit aussi être la période de généralisation du co-badgeage pour tous nos grands acteurs bancaires. Je suis confiant sur leur engagement.
Notre stratégie vise également à soutenir et aider au développement de nouvelles solutions européennes de paiement. À cet égard, nous accueillons très positivement le lancement récent en France du portefeuille « Wero ». Comme le prévoit la stratégie nationale, le CNMP continuera d’apporter son soutien aux projets d’envergure paneuropéenne dont les acteurs français sont partis prenantes, et œuvrera à la mobilisation du marché français autour des solutions proposées par EPI.
En complément de ces initiatives privées, l’écosystème français des paiements est partie prenante aux réflexions sur l’émission d’un euro numérique. Pour rappel, et même s’il s’agit encore d’un concept à ce stade, l’euro numérique serait le pendant des espèces dans l’espace numérique, avec la vocation d’y transposer leurs caractéristiques intrinsèques comme la confidentialité, l’inclusion ou encore l’acceptation universelle et le cours légal. Du point de vue technique, l’Euro numérique aurait vocation à faciliter la convergence des standards et contribuer à favoriser la souveraineté et l’intégration des paiements en Europe. L’idée est bien d’assurer sa complémentarité avec les solutions de paiement existantes ou à venir, et donc de permettre par exemple à wero ou à CB de véhiculer les transactions en Euro numérique.
Enfin, et même si elles sont plus éloignées de l’écosystème CB, il me semble important de citer les autres actions majeures qui contribueront à renforcer la souveraineté française et européenne dans les paiements : d’une part, au travers du renforcement de l’écosystème SEPA avec la mise en place de services paneuropéens à valeur ajoutée comme le request-to-pay qui peut accompagner la mise en place de la facturation électronique pour les professionnels, le service de confirmation du bénéficiaire qui viendra renforcer la sécurité des virements et des virements instantanés, ou encore les futures API avancées d’accès aux comptes qui pourraient permettre le développement de services fondés sur l’open banking ; d’autre part, de la consolidation de l’approvisionnement public en monnaie fiduciaire, avec en particulier la rénovation complète de l’imprimerie de billets de la Banque de France en Auvergne et les actions de modernisation engagées par la Monnaie de Paris pour la production des pièces.
En conclusion, notre stratégie nationale des moyens vise donc à faciliter, au cours des cinq prochaines années, le développement de paiements qui soient universels, rapides, sécurisés, inclusifs et innovants. Il s’agit aussi pour le Comité national des moyens de paiement de contribuer à consolider et à renforcer la souveraineté nationale et européenne en matière de paiements.
C’est l’ambition que nous portons avec l’ensemble de l’écosystème des paiements, dans lequel CB tient évidemment un rôle majeur.
Je vous remercie de votre attention et je souhaite un très bon 40ème anniversaire à Cartes Bancaires et un très bon forum CB à vous tous. Longue vie à la communauté française des paiements ! Longue vie à Cartes Bancaires ! »