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Après l’élection de Trump, la nouvelle donne.

Personne ne doute que, pour l’industrie des paiements, le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis d’Amérique est le sujet d’actualité auquel l’Europe ne s’est pas préparée, car elle ne le croyait ni probable, ni même possible, et, pourtant, il va profondément changer la donne.

Mais la question est moins ce que M. Trump a déjà tracé durant les premiers jours de son mandat et ses premières déclarations, comme lors de son investiture ou lors du Forum de Davos, ses premières décisions, comme sur le Digital Dollar, et ce qu’il va faire ensuite. Sur tout ceci, rien ne sert de gloser, attendons les décisions, même s’il faut prendre la mesure du bouleversement annoncé et ses impacts dans le monde des paiements, et réfléchir à ce que l’Europe pourrait faire pour assurer sa souveraineté et son développement.

La question touche trois sujets :

  • La stratégie européenne des paiements à 10 ans pour les paiements : l’impact de l’ère Trump sera fort, et beaucoup de domaines seront impactés, et donc beaucoup de sujets doivent être clarifiés ;
  • Les moyens financiers et techniques de l’industrie européenne des paiements ;
  • Son plan d’action dans les trois prochaines années qui seront décisives.

 

La stratégie européenne de la précédente mandature

La Commission européenne avait adopté en septembre 2020 une Retail Payments Strategy (RPS) et ce fut un évènement majeur : c’était en effet la première fois qu’on osait parler de stratégie dans les paiements et la première fois que la Commission proposait un plan d’action, suivie notamment par le Conseil, qui a analysé la proposition et l’a validée. C’était une première et on doit en féliciter la Commission ainsi que les colégislateurs. Certes, c’était plus un programme de travail réglementaire qu’une réelle stratégie à moyen et long terme, avec un plan opérationnel réaliste en termes de mise en œuvre. De son côté la BCE avait aussi adopté une stratégie et les deux approches n’étaient pas totalement convergentes. Par la suite, la Commission avait de facto intégré l’euro numérique à son plan de travail, notamment via le paquet règlementaire de juin 2023 qui intégrait notamment un projet de règlement sur l’euro numérique.

De plus, cette RPS n’avait pas pu, à l’époque, prendre en compte les nombreuses évolutions du marché telles que le lancement de Wero (après l’échec du projet de système européen de paiement par carte, qui a conduit EPI à se recentrer sur le volet « wallet »),  l’ampleur de l’irruption des Big Techs américaines et asiatiques dans les paiements, la pression tarifaire internationale, dont celle des schemes cartes internationaux (ICS) ou leur diversification hors du domaine de la carte, voire le développement des cryptopaiements et de la tokenisation, l’ampleur de la fraude autour de l’IP…. Ni les autres et nombreuses évolutions règlementaires européennes qui touchent l’industrie des paiements. La RPS ne pouvait pas non plus prendre en compte l’évolution du contexte politique international vers un éclatement du Global Village en plusieurs grandes zones de paiement.

Ajoutons que cette RPS n’avait pas répondu à trois questions clés, qui n’avaient pas encore atteint la criticité actuelle :

  • Comment réduire la fragmentation du marché européen pour un réel SEPA et assurer le développement d’infrastructures de paiement communautaires au plan européen ?
  • Comment assurer à la fois la réussite du paiement instantané, des initiatives européennes comme Wero, de la sécurisation des paiements voire l’émergence d’un schème carte européen, et l’atteinte d’autres objectifs publics européens comme le développement d’infrastructures européennes pour les paiements, l’euro numérique, l’identité numérique, la confidentialité, la résilience, … et l’ouverture du marché dans les paiements.
  • Comment assurer la souveraineté européenne dans les paiements, voire faire de l’Europe un des principaux Hubs de paiement au plan mondial, et comment soutenir l’émergence d’acteurs européens compétitifs et de poids international ?

 

Enfin, la RPS n’avait pas réglé les questions de la coopération entre les acteurs publics et privés dans le monde des paiements, notamment, celle de la place respective des monnaies de banque commerciale et de la monnaie de banque centrale.

Cela étant, l’Europe avait eu le mérite d’affirmer et d’afficher une stratégie de souveraineté économique (également qualifiée d’« Autonomie stratégique ouverte »), et cela constituait déjà un grand pas en avant

Mais aujourd’hui, cette stratégie est totalement ébranlée par les premiers choix de la nouvelle administration américaine, choix audacieux, voire téméraires, qui conduisent à s’interroger sur certaines orientations comme le règlement MiCA ou l’euro numérique, ou encore la mise en œuvre du RGPD et le Pacte Transatlantique sur les Données. Les orientations retenues par les autorités américaines soulèvent également la question de l’ampleur des décisions à prendre, comme viennent de l’ébaucher la Commission européenne et sa Présidente. Pour l’Europe, le choix est désormais, entre (i) maintenir une stratégie de souveraineté européenne, même restreinte, ou bien (ii) inscrire cette stratégie dans un nouveau marché occidental, indubitablement dominé par les acteurs américains,

Pourtant…

Pourtant, l’alerte avait été donnée avant les élections américaines, dans le domaine du numérique comme dans celui des paiements, tant par Mario Draghi que par de très nombreux autres acteurs tels que le Gouverneur de la Banque de France ou le Cigref. L’élection de Donald Trump ne fait que renforcer l’urgence des décisions à prendre. L’Europe est désormais au pied du mur et doit non seulement faire un choix entre la stratégie américaine et celle d’une Europe plus maîtresse de son futur mais aussi prendre des décisions courageuses et se donner les moyens de les mettre en œuvre.

Et c’est un choix déjà fait par certains au plus haut niveau en Europe, qui appellent à un sursaut européen. Dans son intervention à Davos, Ursula von der Leyen a insisté sur l’interdépendance entre les économies européenne et américaine, mais aussi appelé à développer une stratégie européenne autonome, notamment proposé « un effort de simplification administratif sans précédent ». De son côté le gouverneur de la Banque de France soulignait dans une interview donnée également à Davos : “We should have our domestic agenda on the European side. …The economic destiny of Europe is not in American hands. It is in our own ones”. Même s’il y a en Europe quelques voix discordantes, et pas des moindres, qui n’excluent pas certains rapprochements plus forts avec les USA.

Donc, on ne peut poursuivre sans interroger les grands choix stratégiques européens. Les paiements sont au cœur de cette question, et ces choix ne peuvent faire l’objet d’un report, même s’il y a d’autres grands sujets prioritaires.

La stratégie européenne pour la prochaine décennie

Comme évoqué plus haut, dans les paiements, trois questions clés sont désormais sur la table :

  • La défragmentation du marché, qui passe nécessairement par une consolidation industrielle et bancaire, qui devient un choix à clarifier en urgence, même si certains en Europe refusent l’intégration européenne pourtant urgente, comme l’a fait dernièrement l’Italie, en refusant notamment la consolidation bancaire européenne ;
  • La stratégie industrielle et financière, qui passe par des investissements publics et privés, massifs et convergents, par une réorientation de l’épargne et par une autre culture, plus capitalistique, dans les infrastructures communes, notamment interbancaires ;
  • La requalification des objectifs du marché européen et du rôle des acteurs publics et privés, pour à la fois assurer une plus forte synergie entre acteurs publics et privés, notamment entre banques et banques centrales, et une meilleure répartition des rôles entre colégislateurs et opérateurs publics ou privés.

 

Plusieurs sujets doivent faire l’objet d’un réexamen en urgence et ne peuvent attendre de solutions du marché :

  • Le futur des instruments de paiement et notamment la carte de paiement en Europe, en complément des choix déjà réalisés pour le virement instantané européen ;
  • La place des monnaies digitales, et notamment des monnaies commerciales et centrales, mais aussi le futur des cryptoactifs en support des transactions de paiement, et celui de la tokenisation des actifs ;
  • Les infrastructures européennes de paiement, publiques et privées, pour échapper à la balkanisation européenne et disposer d’acteurs compétitifs au plan international ;
  • Les données, qui vont être le moteur et le cœur de l’industrie des paiements ;
  • Les solutions, comme l’IA, le Cloud, le Quantique, … qui appellent une complémentarité entre investissements compétitifs de chacun, investissements collectifs privés, et investissements publics pour le long terme ;
  • La sécurité européenne des paiements, c’est-à-dire la mise en place d’un équivalent européen de notre Observatoire français de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) mais aussi des solutions innovantes pour constituer un nouveau « mur » contre la fraude, comme l’a été la carte à puce, et qui doit être une priorité pour assurer à l’Europe un leadership mondial en ce domaine ;
  • Enfin, les organisations représentatives de l’écosystème européen des paiements, pour ne pas laisser les organes de gouvernance des associations européennes du monde des paiements exclusivement dans les mains des filiales européennes d’acteurs non européens.

 

L’objectif doit être de faire de l’Europe un des nouveaux hubs mondiaux des paiements, en tous cas le plus sécurisé, leader et autonome sur certains créneaux clés, indispensable à sa souveraineté. Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier et réaliser un véritable plan stratégique à 10 ans, qui fixe les objectifs et les priorités et permette de mettre l’ensemble de l’industrie européenne des paiements en ordre de marche.

Les moyens financiers et techniques de l’industrie européenne des paiements

Dès lors que les paiements sont reconnus comme stratégiques, l’Europe doit y consacrer les moyens nécessaires.

Aujourd’hui, l’industrie, comme toute l’industrie européenne du numérique, est sous-capitalisée. Le modèle européen combine une approche capitalistique limitée avec une approche coopérative ou interbancaire forte.  S’il permet d’assurer le service à un moindre coût en capital et a permis de maîtriser jusqu’à présent les marchés domestiques, ce modèle n’assurera ni la capacité de développement au-delà du champ traditionnel, essentiellement domestique, ni la capacité de concurrence avec des acteurs internationaux très fortement capitalisés, comme le vit le Groupement des Cartes Bancaires face aux schemes internationaux.

Deux exemples doivent être gardés en mémoire :

  • Celui des schemes cartes internationaux (ICS), qui sont passés du modèle coopératif au modèle capitalistique, ce qui leur a assuré un financement sans égal, et une capacité d’investissement incommensurable avec celui des acteurs européens, avec des capitalisations boursières qui se chiffrent en centaines de milliards de dollars.
  • Celui de la SIA italienne, qui est passé en trente ans du statut de filiale de la Banca d’Italia à celui d’une société privée interbancaire italienne, pour finalement s’inscrire dans un partenariat avec un industriel (NEXi), et s’étendre au-delà des frontières domestiques italiennes.

 

Le modèle d’EPI répond déjà à un premier objectif, à savoir disposer d’une capacité financière pour faire face aux investissements, mais l’appel aux fonds privés permettrait de répondre à la question du futur, en assurant des financements sur une activité qui manque de rentabilité en Europe.

Certes, cela se traduirait par une certaine perte de maîtrise des acteurs du marché, mais la survie pourrait passer, dans un premier temps, par un rapprochement des organisations interbancaires, en France notamment, dans une organisation unique, « France Paiements », à l’instar du « Pay.UK[1] » mis en place par les Britanniques.

Ce sujet du financement va de pair avec trois autres sujets qui redeviennent d’actualité : celui des règles de concurrence en Europe, celui des investissements industriels à consentir et notamment du financement des innovations dans les paiements en Europe, et enfin, celui des conditions tarifaires, au regard de ceux pratiqués par les concurrents internationaux.

  • Sur le premier point, il semble que la Présidente de la Commission européenne l’ait compris, et compte s’y atteler.
  • Sur le deuxième point, il faut s’appuyer sur les marchés pour développer les infrastructures européennes, comme l’a indiqué le rapport « Noyer » intitulé « Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir« [2] et comme l’a rappelé Philippe TIBI[3] lors de son intervention à France PAYMENTS FORUM, « il faut du capital, pour que l’Europe soit capable de prendre les trains qui vont changer le monde, et c’est une affaire de capital privé. Mais il faut aussi du capital public, car il y a des sujets de deep tech qui sont des sujets longs et extrêmement risqués, sur lesquels le capital privé ne viendra pas.»
  • Sur le dernier point, il faut noter un rapport très intéressant de la Cour des comptes de l’Union européenne[4], qui alerte notamment sur les orientations de la Commission européenne en matière d’interventions sur les prix pour les paiements numériques.

Sur tous ces sujets, il faudrait engager rapidement une réflexion pour préparer le futur, en France comme en Europe.

Le plan d’action

 Comme on l’a dit, les trois prochaines années seront décisives. Et il faudra agir vite.

  • D’abord, il faut créer les conditions d’un sursaut commun, impliquant tous les acteurs du marché, et pour cela recréer les conditions d’une solidarité entre acteurs publics et privés. Et il faut que du côté des banquiers centraux, comme du côté des acteurs privés, les efforts soient faits pour rapprocher les points de vue, comme sur l’euro numérique. Comme nous l’avions écrit, l’euro numérique est incontournable, mais, son urgence dépendra de l’évolution des marchés, et il est vrai que les conditions de son émission, peu favorables jusque-là, sont en train de changer rapidement, avec l’élection américaine. Il reste qu’il faut mieux préciser le rôle de chacun dans les paiements, et un Livre vert est attendu sur ce sujet en 2026 au niveau européen.
  • Ensuite, il faut prendre des décisions et les inscrire dans la durée, et c’est la raison pour laquelle un Plan stratégique décennal, et pas uniquement inscrit dans la mandature actuelle, est nécessaire, à la fois pour orienter les plans d’investissement des acteurs et pour transformer en profondeur. Et il faut s’attaquer aux sujets de fond, comme la défragmentation, les infrastructures européennes, la consolidation bancaire et industrielle, la création de schemes et d’organisations européennes, le financement des investissements et les conditions de concurrence, et la promotion des innovations pour faire de l’Europe un Hub mondial des paiements.
  • Enfin, il faut prendre en compte la difficulté des acteurs de marché de faire à la fois (1) les maintenances règlementaires, alors que le cadre règlementaire s’est très fortement enrichi parallèlement aux évolutions des plateformes européennes et internationales de paiement, (2) les maintenances techniques, alors que les solutions évoluent rapidement en parallèle de l’évolution des technologies et des risques, (3) et les développements concurrentiels qui visent à apporter davantage de valeur ajoutée à la clientèle, et à favoriser les marges nécessaires aux investissements d’avenir. Dès lors, la planification stratégique, doit inclure une planification opérationnelle, prenant en compte la capacité des acteurs du marché à suivre le mouvement.

 

Ainsi, l’Europe est à la veille d’un grand moment, que nous attendions tous. Un réveil face aux menaces et aux évolutions du monde des paiements. Et nous aurons l’occasion d’en débattre, le 8 avril prochain, lors de la première Rencontre 2025 de FRANCE PAYMENTS FORUM, intitulée : « La stratégie européenne des paiements Pour la prochaine décennie Face aux menaces internationales et aux défis technologiques, marketing et fin


[1] Anciennement « Payments UK » Home – Pay.UK – The recognised operator and standards body for the UK’s interbank payment systems

[2] Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir | Direction générale du Trésor

[3] Président du comité exécutif et des comités techniques du projet « Financement Scale-UP » au Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance

[4] Rapport spécial 01/2025: Paiements numériques dans l’Union européenne,

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