Instant Payment, révision de la DSP, MNBC : la position de la FBF – Jérôme Raguénès
La réunion Plénière mensuelle de FRANCE PAYMENTS FORUM a fait l’objet de quatre interventions d’orateurs clés au sujet du futur des paiements en Europe[1] :
La Position FBF sur les évolutions réglementaires européennes et françaises dans les paiements, par Jérôme RAGUENES, Directeur du numérique, des paiements et de la résilience opérationnelle chez FBF
[1] La Banque de France n’a pu participer à la réunion, ni la Banque Centrale Européenne. Elles participeront à de prochaines réunions.
Jérôme RAGUENES
Je voudrais pour commencer reprendre un thème déjà abordé par les précédents intervenants (Martina Weimert, Eric Ducoulombier et Bastien Lafon), la nécessaire cohérence entre les différents sujets évoqués ce matin : l’Instant Payment, la révision de la DSP et la monnaie numérique de banque centrale (MNBC).
Nous comprenons la finalité de chacun de ces projets mais il faut garder une certaine cohérence et ne pas perdre de vue le cap. C’est essentiel car sur chacun de ces projets il s’agit d’investissements lourds, qui répondent pour certains d’entre eux à des besoins et pour lesquels, selon nous, les objectifs ne sont pas toujours en cohérence (je pense notamment aux sujets Instant Payment et MNBC).
Je vais évoquer successivement les trois sujets : l’Instant Payment et la révision de la DSP (en rebondissant sur quelques points évoqués par Eric Ducoulombier) puis la MNBC.
Instant Payment
Sur le projet de règlement sur l’Instant Payment, dont nous avons compris ce matin qu’il avance bien, nous sommes en soutien car cela permettra à EPI de se déployer correctement. Eric Ducoulombier a attiré notre attention sur des actions qui sont conduites par certaines communautés en vue de l’obtention de davantage de délais. Ce n’est pas du tout l’approche des banques françaises. Nous avons juste un point sur les délais concernant le contrôle IBAN check, où il y peut-être une évolution à regarder, mais le déploiement de l’Instant Payment n’est pas un sujet pour nous en termes de délais : les banques sont déjà bien lancées dans ce déploiement, il y a possiblement un point à regarder sur les paiements de masse (bulk), dont le déploiement peut nécessiter un peu de temps, mais ça ne semble pas poser trop de problèmes (à date).
Évolution de la DSP2
On a passé beaucoup de temps dans la mise en œuvre de la DSP2. La profession bancaire a mené un bilan tous azimuts de cette directive et, d’après ce que m’a dit la Commission, nous étions l’une des seules communautés bancaires en Europe à avoir mené un bilan aussi exhaustif, avec une approche à 360°. Tous les risques que nous avions identifiés dès le vote de la DSP2 par le Parlement et le Conseil se sont avérés justes, car ce qui manque dans la DSP2 c’est l’approche contractuelle (approche de scheme) qui ne permet pas de convenir d’un certain niveau d’attente et de réponse (ce qui, on l’a compris, ne sera pas le cas de l’Open finance et on s’en félicite).
Sur la DSP2, nous avons noté dans l’approche de la Commission qu’on a le sujet de l’authentification forte, le sujet de l’autorisation, et on a une fraude qui évolue et il nous faut en tenir compte. Aujourd’hui, il est trop tôt pour expliquer comment on peut y travailler. On a beaucoup travaillé dans d’autre cercles sur ces sujets-là, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter ce matin : nous pourrons sans doute lors d’une prochaine séance vous expliquer ce que nous avons fait, à la fois au niveau collectif et au niveau de la seule profession bancaire.
Nous avons beaucoup de choses à faire valoir sur ces sujets d’appréhension de la fraude, suivant trois axes : préventif, curatif et répressif.
- Sur l’axe préventif, il y a la partie d’éducation, vigilance, communication auprès du client, de traitement de la fraude). Sur cet axe, Eric Ducoulombier a évoqué l’idée de permettre le partage des données en cas de fraude : c’est un projet que nous portons au niveau de la FBF, sur lequel nous travaillons beaucoup, et qui est selon nous très important car il peut permettre d’améliorer l’écosystème et de protéger le client.
- Sur l’axe curatif, une fois que la fraude a eu lieu, la question est : comment y répond-on et comment accompagne-t-on le client ?
- Sur l’axe répressif, la FBF travaille pour aider les forces de l’ordre (police et gendarmerie, ministère de l’Intérieur) à mener leurs enquêtes et contribuer efficacement à la sécurité du système.
Nous verrons dans la proposition de la Commission européenne comment ils souhaitent aborder ce sujet-là, mais je profite de la présence d’un représentant du Trésor pour dire qu’il faudra sensibiliser la Commission car je pense très sincèrement que sur ce sujet-là, la France a un temps d’avance au niveau européen. Lorsque j’en discute avec mes collègues en Europe, c’est clairement une approche intéressante à partager au niveau européen et qui peut trouver écho dans les travaux en cours sur l’Open finance. Là encore, on a un lien assez étroit avec la Commission européenne (DG Fisma) pour expliquer tous les écueils qu’il nous faut éviter dans le cadre de l’Open finance et auxquels nous avons été confrontés dans le cadre de la DSP2.
Monnaie numérique de banque centrale (MNBC)
Sur la MNBC, on en revient au sujet de cohérence. Nous avons tous lu la Retail Payments Strategy de la Commission européenne, qui promeut l’Instant Payment pour des raisons assez évidentes qui sont l’innovation et l’accélération de moyens de paiement, mais aussi parce que c’est une manière d’asseoir la souveraineté européenne. Il faut une cohérence entre les deux approches de Francfort et de Bruxelles.
Eric Ducoulombier a pris tout à l’heure deux images à propos de la MNBC, en disant que « le train est sorti de la gare » ou que « le bateau est sorti du port ». Le train qui sort de la gare, on sait où il va car il suit les rails ; le bateau qui sort du port, il peut louvoyer et on ne connait pas sa destination. C’est un peu le sentiment que nous avons en regardant le sujet MNBC, car on ne sait pas à quoi on veut répondre ni ce qu’on veut traiter dans le cadre de la MNBC.
On nous parle d’ancrage monétaire ; on nous parle d’un moyen de paiement qui doit répondre à des cas d’usage qu’on ne connait pas, ou qu’on n’identifie pas. C’est un travail que nous avons mené très tôt au niveau de la profession bancaire avec la Banque de France, sans trouver le moindre cas d’usage qui ne serait pas déjà couvert par des moyens de paiement existants ou par les moyens de paiement à venir (je pense évidemment à EPI).
On voit donc qu’il n’y a pas de cas d’usage, qu’on a une organisation très compliquée à comprendre. L’euro numérique serait détenu en bilan de banque centrale ; on nous dit que l’euro numérique ne doit pas être un produit d’épargne mais on nous parle de montants de détention à 3 000 euros, ce qui est très surprenant car dans le monde des paiements 3 000 euros, ce n’est pas un montant pour des paiements (au quotidien en tout cas). On a donc un écart entre ce qui nous est annoncé comme objectifs auxquels doit répondre la MNBC et la manière d’y répondre.
Il y a le sujet de la souveraineté, qui est en creux dans le message délivré par la BCE. Mais là encore, la souveraineté européenne, c’est presque à considérer que la BCE, en présentant les choses comme cela, considère que rien n’a été fait en Europe. Or en vingt ans, on a fait le prélèvement SEPA, le virement SEPA, le virement instantané SEPA. On a donc une base de solutions européennes basées sur des standards européens, et des infrastructures européennes (infrastructures de banque centrale et infrastructures privées) qui répondent à ces principes de souveraineté. Et on a EPI, qui est une solution aujourd’hui certes limitée à quelques pays, mais qui a vocation à s’étendre et à devenir pan-européenne.
D’où cette confrontation de la MNBC par rapport à un écosystème qui existe aujourd’hui et qui a été développé par les banques et par les entreprises. On a tendance à oublier le monde de l’entreprise, qui va devoir effectuer, des investissements colossaux pour traiter une nouvelle monnaie qui ne répondra à aucun nouveau besoin. Il y a eu aussi le développement des administrations. En fait, on a tout un écosystème qui a développé les moyens de paiements SEPA et maintenant, on va quasiment obliger tout le monde à gérer aussi la MNBC.
C’est un point fondamental. Martina Weimert (EPI) en a parlé, il y a l’aspect qui relève presque de la concurrence : avec le statut légal de l’euro, et donc de la MNBC, on va avoir une approche un peu différente parce que, si on comprend la manière dont le sujet se présente, avec ce statut légal l’ensemble des commerçants européens devront accepter la MNBC, ce qui n’est pas du tout le cas des autres moyens de paiement. Aujourd’hui, pour proposer un moyen de paiement à un commerçant et que celui-ci accepte d’être payé avec ce moyen de paiement, il faut établir un contrat, lui « vendre » ce qu’apporte ce moyen de paiement. C’est notamment le cas d’EPI et de toutes les solutions de paiement. Il faut constituer un réseau d’acceptation.
Autre sujet, qu’Hervé Sitruck a rapidement évoqué tout à l’heure, le fait que la banque centrale semble considérer de facto que l’ensemble des flux en MNBC doivent être traités par la banque centrale. Là encore, c’est une manière un peu singulière d’apprécier la concurrence : il y a d’autres entreprises qui savent faire de la compensation et du règlement.
Il y a aussi des sujets finalement peu abordés : l’impact de la MNBC sur les moyens de paiement existants, qui ont des modèles économiques, pour lesquels des investissements ont été faits et là, ce qu’on comprend, c’est que c’est l’ensemble de la chaine de traitement des paiements, de la banque au client, c’est-à-dire le client particulier qui va devoir comprendre ce qu’est ce wallet en MNBC et quelle est sa plus-value par rapport aux moyens de paiement dont il dispose. Ce sera un premier exercice d’équilibriste car il a déjà un wallet, une carte, un virement, un prélèvement et là on a un nouveau produit qui finalement fait la même chose mais qui est différent. Et il va falloir aussi expliquer aux commerçants l’intérêt de la MNBC et tous les investissements, les reportings, la double comptabilité qu’il faudra mettre en place car il faudra évidemment pouvoir différencier les flux financiers en euro commercial des flux financiers en MNBC.
Sur tout cela, on a autant de questions qui restent sans réponse, et on a presque une opposition de logique et de stratégie entre (a) la stratégie développée et mise en place par la Commission européenne sur le développement de l’Instant Payment, sur laquelle l’ensemble du marché est engagé, et (b) ce projet qui vient clairement heurter ces investissements et qui perturbe l’objectif visé (Martina Weimert l’a expliqué mais en tant que banques françaises nous sommes complètement impliquées) qui est de développer l’Instant Payment et ce que ça peut apporter au marché en termes de souveraineté européenne, mais également en termes de plus-value pour l’ensemble de nos clients.
Hervé SITRUK
Juste un point pour mettre un peu les choses en perspective. Dans les années 2000, il y a eu la directive sur la monnaie électronique. Il y a eu à l’époque (en 2001/2002) un débat pour savoir s’il fallait que la BCE émette ou non une monnaie électronique, et la Commission européenne avait répondu à l’époque « Non, ceci relève du marché ». Aujourd’hui, cette volonté de créer cette monnaie numérique a pour objectif de répondre à une autre problématique, qui est qu’à l’international il y a une démarche nouvelle qui se développe, qui est celle des stablecoins et cryptoactifs qui entrent dans le domaine des paiements.
La réponse de la BCE à cette problématique est de ne pas répondre car elle n’est pas du tout sur ce registre, et elle revient sur la monnaie électronique des années 2000, pour faire ce qu’elle n’avait pas fait à l’époque. Et ça rate complètement sa cible et ça pose un problème car les acteurs du marché, comme on le leur a demandé, ont investi c domaine et y ont apporté des réponses. D’ailleurs on le voit bien dans les réponses qui ont été diffusées par la BCE : les cas d’application sont ceux d’EPI, ceux que les banques sont en train de préparer, ceux que les autres PSP sont en train de mettre sur la table. C’est véritablement en doublon, et c’est ça qui pose en problème.
Il y avait aussi le sujet des gros montants, qui est une véritable problématique : comment on règle des actifs numériques, et là où la monnaie de gros apporte une réponse, c’est le sujet qui est abordé en dernier.
Il faut complètement recentre le projet d’euro numérique pour qu’il serve à quelque chose, notamment pour développer une industrie européenne qui réponde au marché international des stablecoins pour pouvoir lui faire pièce. Mais si c’est pour faire quelque chose qui est fait depuis 20 ans et qui est en train de ‘accélérer, nous avons du mal à comprendre.
Vous avez évoqué une démarche de lobbying : pensez-vous avoir une démarche particulière dans les semaines ou les mois qui viennent, pour faire que tout ceci se retrouve dans un cadre homogène ? Avez-vous aujourd’hui un plan d’action particulier sur ces domaines ?
Jérôme RAGUENES
Nous sommes très cohérents depuis le début sur ce projet. Nous avons dès le départ écrit que ce projet ne répondait à aucun cas d’usage et n’était en aucun cas une solution à un problème qui n’existe pas. Nous n’avons pas bougé d’un iota sur cette approche-là. Nous ne croyons pas du tout à ce projet. Quand on connait les paiements, on voit toute la difficulté qu’il y a à installer dans le marché un nouveau moyen de paiement. C’est très long, très compliqué et ça nécessite d’apporter au client une plus-value par rapport aux moyens de paiement qui existent déjà. C’est fondamental. Martina Weimert) en a parlé, la force d’EPI sera d’apporter une plus-value sur des fonctions qui certes existent déjà mais EPI va apporter une couche supplémentaire, avec des vrais cas d’usage, une vraie plus-value pour le client. Sur la MNBC, on n’a pas tout cela.
Aborder un projet en nous disant « On ne répond à rien ». L’objectif varie en fonction des discours depuis deux ans : un coup, c’est l’ancrage monétaire car il faut garantir au citoyen l’accès à la monnaie de banque centrale ; ensuite on nous dit qu’il faut aussi que ce soit un moyen de paiement qui doit répondre à tous les cas d’usage. Au début on nous dit « ça doit être juste pour le cash » ; après on nous dit que ce n’est pas juste pour le cash, et finalement ça devient de la concurrence frontale avec les moyens de paiement.
Nous ne croyons pas à ce projet. Il se fera peut-être, mais ça ne sera pas le premier projet qui se lancera et qui ne sera pas couronné de succès : nous avons la faiblesse de penser que le client appréhende un moyen de paiement, une innovation, si elle lui apporte quelque chose. Sur la MNBC, on n’a pas vu à quoi ça pouvait servir et à quel besoin elle pourrait répondre..
Quant aux actions de sensibilisation, elles sont tout à fait limitées. Nous suivons le projet bien évidemment car on voit bien qu’il peut avoir un impact sérieux sur les moyens de paiement et sur l’activité bancaire, mais on en est là.
Hervé SITRUK
Puis-je demander à Martina WEIMERT et à Bastien LAFON s’ils souhaitent réagir en clôture ?
Martina WEIMERT
Nous avons-nous aussi du mal à voir le cas d’usage car nous avons passé beaucoup de temps et d’efforts à traiter tous les cas d’usage que les commerçants, par exemple, nous demandaient et sur lesquels on sait qu’il y a des besoins. Nous avons consacré beaucoup d’efforts à les peaufiner pour que ça soit possible en Instant payment, avec une architecture qui convienne à l’ensemble des cas d’usage. Maintenant, dire « l’euro digital va faire la même chose », il est vrai que la valeur ajoutée n’est pas évidente.
Je pensais, et je pense toujours, que l’euro digital peut avoir un intérêt pour les paiements programmables, même si ça suscite beaucoup de débats, mais c’est un cas que nous adressons. On entend aussi beaucoup de la part de la BCE qu’ils sont obligés de faire cela parce qu’EPI n’a pas lancé son offre. Mais ça va être fait, et nous allons avoir quelques années d’avance par rapport à eux. Mais je n’ai pas à commenter ce type d’argument.
Hervé SITRUK
Bastien, cet écart entre la vision des années 2000 où on disait « il ne faut pas que la banque centrale émette de la monnaie électronique car c’est au marché de le faire » et celle d’aujourd’hui où il faut répondre aux stablecoins. Mais au lieu de répondre aux stablecoins, on fait une monnaie électronique comme dans les années 2000. On ne répond pas à la question et on revient à une question antérieure. N’y a-t-il pas un hiatus ?
Bastien LAFON
Il est clair que l’euro numérique ne vise pas aujourd’hui répondre à une difficulté liée aux stablecoins : on a créé pour cela un cadre réglementaire (MiCA) qui est clair. Vous avez vu qu’un certain nombre d’acteurs ont récemment annoncé qu’ils allaient s’installer en France. Les travaux de niveau 2 et de niveau 3 sont en train d’être menés pour bien encadrer l’ensemble des risques liés à ces stablecoins.
Il y a ensuite le sujet de l’euro numérique, qui répond de manière théorique à ce sujet d’ancrage et de manière pratique à des cas d’usage que nous voyons tels que les paiements transfrontaliers à l’extérieur de l’Union européenne (typiquement pour rendre interopérables les MNBC), à des usages wholesale.
Sur les usages retail, comme l’ont dit les ministres de l’Eurogroupe, il faut trouver un narratif et faire en sorte que l’euro numérique soit adapté à l’innovation. Ensuite, reste à voir comment ce projet se développe et se structure. Reste à voir aussi comment on va négocier, car on va encore négocier et discuter de l’euro numérique pendant beaucoup d’années à venir. Le marché des paiements ne cesse de se développer. Donc peut-être que dans deux ans ou dans trois ans, quand on aura encore réfléchi à cet euro numérique, on aura vu une adaptation de cet objet, un peu protéiforme pour le moment et dont j’espère qu’il aura trouvé le bon angle d’attaque.
Martina WEIMERT
C’est évidemment une difficulté d’avoir tous ces projets en parallèle car ça surcharge la capacité d’absorption des acteurs mais aussi du marché (les commerçants par exemple). Ce qui m’inquiète le plus (et là-dessus j’aimerais qu’on aille au-delà du niveau purement européen), c’est que dans le monde il y a plus de 60 solutions d’Instant, real-time ou faster payments, mais l’Europe n’en a toujours pas et nous risquons de louper cette opportunité très importante, et on voit à quelle vitesse ces solutions peuvent se développer.
Donc, si on n’est pas capables demain d’avoir une solution account-to-account, désolée mais ça me paraît plus prioritaire que la monnaie digitale. Celle-ci trouve effectivement son écho dans certaines régions du monde (Afrique…), mais on voit aussi les réticences aux États-Unis par exemple. Donc l’interopérabilité, ou la compatibilité, entre ces solutions à l’international, certes, mais il faut donner des priorités, ou un cadre dans le temps. Sinon, on ne pourra pas faire tout en même temps et on risque de passer à côté d’une opportunité importante pour l’Europe entière et, par rapport à son rôle international, en diversifiant tous azimuts, avec aussi l’identité digitale avec laquelle on veut payer car le paiement c’est sympathique. Donc j’invite vraiment à la plus grande vigilance sur la priorisation et pour donner une perspective très claire au marché sur : que fait-on, quand et avec quel objectif ?
Hervé SITRUK
Tout à fait. C’est là où la stratégie européenne doit être clarifiée.
Jérôme RAGUENES
Martina Weimert a repris l’ensemble des éléments que je voulais ajouter. Effectivement, quand on regarde ce qui se passe en dehors de l’Europe, certes les chinois ont leur e-yuan mais qui (selon ce qui me remonte) n’est quand même pas un franc succès. Côté américain, ils ont une approche très pragmatique qui est de savoir où est le business, où sont les cas d’usage, et s’il y des cas d’usage qui ne sont pas couverts. Mes selon mes dernières informations (qui remontent à la semaine dernière), il ne semble pas que la Fed se penche sur ce sujet.
Mais, comme Bastien Lafon l’a évoqué, il y a un cas d’usage qui existe, c’est le wholesale. Malheureusement il n’est pas traité, mais là il y a de vrais cas d’usage, pour les banques mais aussi et surtout pour les entreprises. Il y a un réel besoin et si jamais la banque centrale devait poursuivre ses travaux sur l’euro numérique, elle serait bien inspirée de regarder la partie wholesale avant la partie retail car, comme le disait Martina Weimert, on ne peut pas mener des projets d’une telle ampleur sur les paiements, les infrastructures, sur l’ensemble de l’écosystème (car ce ne sont pas que des banques mais aussi des entreprises, des administrations, et toute l’économie qui doit investir sur un sujet dont on ne comprend même pas à quoi cela va servir.
Hervé SITRUK
Merci beaucoup à nos quatre orateurs
La réunion Plénière mensuelle de FRANCE PAYMENTS FORUM a fait l’objet de quatre interventions d’orateurs clés au sujet du futur des paiements en Europe[1] :
La Position FBF sur les évolutions réglementaires européennes et françaises dans les paiements, par Jérôme RAGUENES, Directeur du numérique, des paiements et de la résilience opérationnelle chez FBF
[1] La Banque de France n’a pu participer à la réunion, ni la Banque Centrale Européenne. Elles participeront à de prochaines réunions.
Jérôme RAGUENES
Je voudrais pour commencer reprendre un thème déjà abordé par les précédents intervenants (Martina Weimert, Eric Ducoulombier et Bastien Lafon), la nécessaire cohérence entre les différents sujets évoqués ce matin : l’Instant Payment, la révision de la DSP et la monnaie numérique de banque centrale (MNBC).
Nous comprenons la finalité de chacun de ces projets mais il faut garder une certaine cohérence et ne pas perdre de vue le cap. C’est essentiel car sur chacun de ces projets il s’agit d’investissements lourds, qui répondent pour certains d’entre eux à des besoins et pour lesquels, selon nous, les objectifs ne sont pas toujours en cohérence (je pense notamment aux sujets Instant Payment et MNBC).
Je vais évoquer successivement les trois sujets : l’Instant Payment et la révision de la DSP (en rebondissant sur quelques points évoqués par Eric Ducoulombier) puis la MNBC.
Instant Payment
Sur le projet de règlement sur l’Instant Payment, dont nous avons compris ce matin qu’il avance bien, nous sommes en soutien car cela permettra à EPI de se déployer correctement. Eric Ducoulombier a attiré notre attention sur des actions qui sont conduites par certaines communautés en vue de l’obtention de davantage de délais. Ce n’est pas du tout l’approche des banques françaises. Nous avons juste un point sur les délais concernant le contrôle IBAN check, où il y peut-être une évolution à regarder, mais le déploiement de l’Instant Payment n’est pas un sujet pour nous en termes de délais : les banques sont déjà bien lancées dans ce déploiement, il y a possiblement un point à regarder sur les paiements de masse (bulk), dont le déploiement peut nécessiter un peu de temps, mais ça ne semble pas poser trop de problèmes (à date).
Évolution de la DSP2
On a passé beaucoup de temps dans la mise en œuvre de la DSP2. La profession bancaire a mené un bilan tous azimuts de cette directive et, d’après ce que m’a dit la Commission, nous étions l’une des seules communautés bancaires en Europe à avoir mené un bilan aussi exhaustif, avec une approche à 360°. Tous les risques que nous avions identifiés dès le vote de la DSP2 par le Parlement et le Conseil se sont avérés justes, car ce qui manque dans la DSP2 c’est l’approche contractuelle (approche de scheme) qui ne permet pas de convenir d’un certain niveau d’attente et de réponse (ce qui, on l’a compris, ne sera pas le cas de l’Open finance et on s’en félicite).
Sur la DSP2, nous avons noté dans l’approche de la Commission qu’on a le sujet de l’authentification forte, le sujet de l’autorisation, et on a une fraude qui évolue et il nous faut en tenir compte. Aujourd’hui, il est trop tôt pour expliquer comment on peut y travailler. On a beaucoup travaillé dans d’autre cercles sur ces sujets-là, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter ce matin : nous pourrons sans doute lors d’une prochaine séance vous expliquer ce que nous avons fait, à la fois au niveau collectif et au niveau de la seule profession bancaire.
Nous avons beaucoup de choses à faire valoir sur ces sujets d’appréhension de la fraude, suivant trois axes : préventif, curatif et répressif.
- Sur l’axe préventif, il y a la partie d’éducation, vigilance, communication auprès du client, de traitement de la fraude). Sur cet axe, Eric Ducoulombier a évoqué l’idée de permettre le partage des données en cas de fraude : c’est un projet que nous portons au niveau de la FBF, sur lequel nous travaillons beaucoup, et qui est selon nous très important car il peut permettre d’améliorer l’écosystème et de protéger le client.
- Sur l’axe curatif, une fois que la fraude a eu lieu, la question est : comment y répond-on et comment accompagne-t-on le client ?
- Sur l’axe répressif, la FBF travaille pour aider les forces de l’ordre (police et gendarmerie, ministère de l’Intérieur) à mener leurs enquêtes et contribuer efficacement à la sécurité du système.
Nous verrons dans la proposition de la Commission européenne comment ils souhaitent aborder ce sujet-là, mais je profite de la présence d’un représentant du Trésor pour dire qu’il faudra sensibiliser la Commission car je pense très sincèrement que sur ce sujet-là, la France a un temps d’avance au niveau européen. Lorsque j’en discute avec mes collègues en Europe, c’est clairement une approche intéressante à partager au niveau européen et qui peut trouver écho dans les travaux en cours sur l’Open finance. Là encore, on a un lien assez étroit avec la Commission européenne (DG Fisma) pour expliquer tous les écueils qu’il nous faut éviter dans le cadre de l’Open finance et auxquels nous avons été confrontés dans le cadre de la DSP2.
Monnaie numérique de banque centrale (MNBC)
Sur la MNBC, on en revient au sujet de cohérence. Nous avons tous lu la Retail Payments Strategy de la Commission européenne, qui promeut l’Instant Payment pour des raisons assez évidentes qui sont l’innovation et l’accélération de moyens de paiement, mais aussi parce que c’est une manière d’asseoir la souveraineté européenne. Il faut une cohérence entre les deux approches de Francfort et de Bruxelles.
Eric Ducoulombier a pris tout à l’heure deux images à propos de la MNBC, en disant que « le train est sorti de la gare » ou que « le bateau est sorti du port ». Le train qui sort de la gare, on sait où il va car il suit les rails ; le bateau qui sort du port, il peut louvoyer et on ne connait pas sa destination. C’est un peu le sentiment que nous avons en regardant le sujet MNBC, car on ne sait pas à quoi on veut répondre ni ce qu’on veut traiter dans le cadre de la MNBC.
On nous parle d’ancrage monétaire ; on nous parle d’un moyen de paiement qui doit répondre à des cas d’usage qu’on ne connait pas, ou qu’on n’identifie pas. C’est un travail que nous avons mené très tôt au niveau de la profession bancaire avec la Banque de France, sans trouver le moindre cas d’usage qui ne serait pas déjà couvert par des moyens de paiement existants ou par les moyens de paiement à venir (je pense évidemment à EPI).
On voit donc qu’il n’y a pas de cas d’usage, qu’on a une organisation très compliquée à comprendre. L’euro numérique serait détenu en bilan de banque centrale ; on nous dit que l’euro numérique ne doit pas être un produit d’épargne mais on nous parle de montants de détention à 3 000 euros, ce qui est très surprenant car dans le monde des paiements 3 000 euros, ce n’est pas un montant pour des paiements (au quotidien en tout cas). On a donc un écart entre ce qui nous est annoncé comme objectifs auxquels doit répondre la MNBC et la manière d’y répondre.
Il y a le sujet de la souveraineté, qui est en creux dans le message délivré par la BCE. Mais là encore, la souveraineté européenne, c’est presque à considérer que la BCE, en présentant les choses comme cela, considère que rien n’a été fait en Europe. Or en vingt ans, on a fait le prélèvement SEPA, le virement SEPA, le virement instantané SEPA. On a donc une base de solutions européennes basées sur des standards européens, et des infrastructures européennes (infrastructures de banque centrale et infrastructures privées) qui répondent à ces principes de souveraineté. Et on a EPI, qui est une solution aujourd’hui certes limitée à quelques pays, mais qui a vocation à s’étendre et à devenir pan-européenne.
D’où cette confrontation de la MNBC par rapport à un écosystème qui existe aujourd’hui et qui a été développé par les banques et par les entreprises. On a tendance à oublier le monde de l’entreprise, qui va devoir effectuer, des investissements colossaux pour traiter une nouvelle monnaie qui ne répondra à aucun nouveau besoin. Il y a eu aussi le développement des administrations. En fait, on a tout un écosystème qui a développé les moyens de paiements SEPA et maintenant, on va quasiment obliger tout le monde à gérer aussi la MNBC.
C’est un point fondamental. Martina Weimert (EPI) en a parlé, il y a l’aspect qui relève presque de la concurrence : avec le statut légal de l’euro, et donc de la MNBC, on va avoir une approche un peu différente parce que, si on comprend la manière dont le sujet se présente, avec ce statut légal l’ensemble des commerçants européens devront accepter la MNBC, ce qui n’est pas du tout le cas des autres moyens de paiement. Aujourd’hui, pour proposer un moyen de paiement à un commerçant et que celui-ci accepte d’être payé avec ce moyen de paiement, il faut établir un contrat, lui « vendre » ce qu’apporte ce moyen de paiement. C’est notamment le cas d’EPI et de toutes les solutions de paiement. Il faut constituer un réseau d’acceptation.
Autre sujet, qu’Hervé Sitruck a rapidement évoqué tout à l’heure, le fait que la banque centrale semble considérer de facto que l’ensemble des flux en MNBC doivent être traités par la banque centrale. Là encore, c’est une manière un peu singulière d’apprécier la concurrence : il y a d’autres entreprises qui savent faire de la compensation et du règlement.
Il y a aussi des sujets finalement peu abordés : l’impact de la MNBC sur les moyens de paiement existants, qui ont des modèles économiques, pour lesquels des investissements ont été faits et là, ce qu’on comprend, c’est que c’est l’ensemble de la chaine de traitement des paiements, de la banque au client, c’est-à-dire le client particulier qui va devoir comprendre ce qu’est ce wallet en MNBC et quelle est sa plus-value par rapport aux moyens de paiement dont il dispose. Ce sera un premier exercice d’équilibriste car il a déjà un wallet, une carte, un virement, un prélèvement et là on a un nouveau produit qui finalement fait la même chose mais qui est différent. Et il va falloir aussi expliquer aux commerçants l’intérêt de la MNBC et tous les investissements, les reportings, la double comptabilité qu’il faudra mettre en place car il faudra évidemment pouvoir différencier les flux financiers en euro commercial des flux financiers en MNBC.
Sur tout cela, on a autant de questions qui restent sans réponse, et on a presque une opposition de logique et de stratégie entre (a) la stratégie développée et mise en place par la Commission européenne sur le développement de l’Instant Payment, sur laquelle l’ensemble du marché est engagé, et (b) ce projet qui vient clairement heurter ces investissements et qui perturbe l’objectif visé (Martina Weimert l’a expliqué mais en tant que banques françaises nous sommes complètement impliquées) qui est de développer l’Instant Payment et ce que ça peut apporter au marché en termes de souveraineté européenne, mais également en termes de plus-value pour l’ensemble de nos clients.
Hervé SITRUK
Juste un point pour mettre un peu les choses en perspective. Dans les années 2000, il y a eu la directive sur la monnaie électronique. Il y a eu à l’époque (en 2001/2002) un débat pour savoir s’il fallait que la BCE émette ou non une monnaie électronique, et la Commission européenne avait répondu à l’époque « Non, ceci relève du marché ». Aujourd’hui, cette volonté de créer cette monnaie numérique a pour objectif de répondre à une autre problématique, qui est qu’à l’international il y a une démarche nouvelle qui se développe, qui est celle des stablecoins et cryptoactifs qui entrent dans le domaine des paiements.
La réponse de la BCE à cette problématique est de ne pas répondre car elle n’est pas du tout sur ce registre, et elle revient sur la monnaie électronique des années 2000, pour faire ce qu’elle n’avait pas fait à l’époque. Et ça rate complètement sa cible et ça pose un problème car les acteurs du marché, comme on le leur a demandé, ont investi c domaine et y ont apporté des réponses. D’ailleurs on le voit bien dans les réponses qui ont été diffusées par la BCE : les cas d’application sont ceux d’EPI, ceux que les banques sont en train de préparer, ceux que les autres PSP sont en train de mettre sur la table. C’est véritablement en doublon, et c’est ça qui pose en problème.
Il y avait aussi le sujet des gros montants, qui est une véritable problématique : comment on règle des actifs numériques, et là où la monnaie de gros apporte une réponse, c’est le sujet qui est abordé en dernier.
Il faut complètement recentre le projet d’euro numérique pour qu’il serve à quelque chose, notamment pour développer une industrie européenne qui réponde au marché international des stablecoins pour pouvoir lui faire pièce. Mais si c’est pour faire quelque chose qui est fait depuis 20 ans et qui est en train de ‘accélérer, nous avons du mal à comprendre.
Vous avez évoqué une démarche de lobbying : pensez-vous avoir une démarche particulière dans les semaines ou les mois qui viennent, pour faire que tout ceci se retrouve dans un cadre homogène ? Avez-vous aujourd’hui un plan d’action particulier sur ces domaines ?
Jérôme RAGUENES
Nous sommes très cohérents depuis le début sur ce projet. Nous avons dès le départ écrit que ce projet ne répondait à aucun cas d’usage et n’était en aucun cas une solution à un problème qui n’existe pas. Nous n’avons pas bougé d’un iota sur cette approche-là. Nous ne croyons pas du tout à ce projet. Quand on connait les paiements, on voit toute la difficulté qu’il y a à installer dans le marché un nouveau moyen de paiement. C’est très long, très compliqué et ça nécessite d’apporter au client une plus-value par rapport aux moyens de paiement qui existent déjà. C’est fondamental. Martina Weimert) en a parlé, la force d’EPI sera d’apporter une plus-value sur des fonctions qui certes existent déjà mais EPI va apporter une couche supplémentaire, avec des vrais cas d’usage, une vraie plus-value pour le client. Sur la MNBC, on n’a pas tout cela.
Aborder un projet en nous disant « On ne répond à rien ». L’objectif varie en fonction des discours depuis deux ans : un coup, c’est l’ancrage monétaire car il faut garantir au citoyen l’accès à la monnaie de banque centrale ; ensuite on nous dit qu’il faut aussi que ce soit un moyen de paiement qui doit répondre à tous les cas d’usage. Au début on nous dit « ça doit être juste pour le cash » ; après on nous dit que ce n’est pas juste pour le cash, et finalement ça devient de la concurrence frontale avec les moyens de paiement.
Nous ne croyons pas à ce projet. Il se fera peut-être, mais ça ne sera pas le premier projet qui se lancera et qui ne sera pas couronné de succès : nous avons la faiblesse de penser que le client appréhende un moyen de paiement, une innovation, si elle lui apporte quelque chose. Sur la MNBC, on n’a pas vu à quoi ça pouvait servir et à quel besoin elle pourrait répondre..
Quant aux actions de sensibilisation, elles sont tout à fait limitées. Nous suivons le projet bien évidemment car on voit bien qu’il peut avoir un impact sérieux sur les moyens de paiement et sur l’activité bancaire, mais on en est là.
Hervé SITRUK
Puis-je demander à Martina WEIMERT et à Bastien LAFON s’ils souhaitent réagir en clôture ?
Martina WEIMERT
Nous avons-nous aussi du mal à voir le cas d’usage car nous avons passé beaucoup de temps et d’efforts à traiter tous les cas d’usage que les commerçants, par exemple, nous demandaient et sur lesquels on sait qu’il y a des besoins. Nous avons consacré beaucoup d’efforts à les peaufiner pour que ça soit possible en Instant payment, avec une architecture qui convienne à l’ensemble des cas d’usage. Maintenant, dire « l’euro digital va faire la même chose », il est vrai que la valeur ajoutée n’est pas évidente.
Je pensais, et je pense toujours, que l’euro digital peut avoir un intérêt pour les paiements programmables, même si ça suscite beaucoup de débats, mais c’est un cas que nous adressons. On entend aussi beaucoup de la part de la BCE qu’ils sont obligés de faire cela parce qu’EPI n’a pas lancé son offre. Mais ça va être fait, et nous allons avoir quelques années d’avance par rapport à eux. Mais je n’ai pas à commenter ce type d’argument.
Hervé SITRUK
Bastien, cet écart entre la vision des années 2000 où on disait « il ne faut pas que la banque centrale émette de la monnaie électronique car c’est au marché de le faire » et celle d’aujourd’hui où il faut répondre aux stablecoins. Mais au lieu de répondre aux stablecoins, on fait une monnaie électronique comme dans les années 2000. On ne répond pas à la question et on revient à une question antérieure. N’y a-t-il pas un hiatus ?
Bastien LAFON
Il est clair que l’euro numérique ne vise pas aujourd’hui répondre à une difficulté liée aux stablecoins : on a créé pour cela un cadre réglementaire (MiCA) qui est clair. Vous avez vu qu’un certain nombre d’acteurs ont récemment annoncé qu’ils allaient s’installer en France. Les travaux de niveau 2 et de niveau 3 sont en train d’être menés pour bien encadrer l’ensemble des risques liés à ces stablecoins.
Il y a ensuite le sujet de l’euro numérique, qui répond de manière théorique à ce sujet d’ancrage et de manière pratique à des cas d’usage que nous voyons tels que les paiements transfrontaliers à l’extérieur de l’Union européenne (typiquement pour rendre interopérables les MNBC), à des usages wholesale.
Sur les usages retail, comme l’ont dit les ministres de l’Eurogroupe, il faut trouver un narratif et faire en sorte que l’euro numérique soit adapté à l’innovation. Ensuite, reste à voir comment ce projet se développe et se structure. Reste à voir aussi comment on va négocier, car on va encore négocier et discuter de l’euro numérique pendant beaucoup d’années à venir. Le marché des paiements ne cesse de se développer. Donc peut-être que dans deux ans ou dans trois ans, quand on aura encore réfléchi à cet euro numérique, on aura vu une adaptation de cet objet, un peu protéiforme pour le moment et dont j’espère qu’il aura trouvé le bon angle d’attaque.
Martina WEIMERT
C’est évidemment une difficulté d’avoir tous ces projets en parallèle car ça surcharge la capacité d’absorption des acteurs mais aussi du marché (les commerçants par exemple). Ce qui m’inquiète le plus (et là-dessus j’aimerais qu’on aille au-delà du niveau purement européen), c’est que dans le monde il y a plus de 60 solutions d’Instant, real-time ou faster payments, mais l’Europe n’en a toujours pas et nous risquons de louper cette opportunité très importante, et on voit à quelle vitesse ces solutions peuvent se développer.
Donc, si on n’est pas capables demain d’avoir une solution account-to-account, désolée mais ça me paraît plus prioritaire que la monnaie digitale. Celle-ci trouve effectivement son écho dans certaines régions du monde (Afrique…), mais on voit aussi les réticences aux États-Unis par exemple. Donc l’interopérabilité, ou la compatibilité, entre ces solutions à l’international, certes, mais il faut donner des priorités, ou un cadre dans le temps. Sinon, on ne pourra pas faire tout en même temps et on risque de passer à côté d’une opportunité importante pour l’Europe entière et, par rapport à son rôle international, en diversifiant tous azimuts, avec aussi l’identité digitale avec laquelle on veut payer car le paiement c’est sympathique. Donc j’invite vraiment à la plus grande vigilance sur la priorisation et pour donner une perspective très claire au marché sur : que fait-on, quand et avec quel objectif ?
Hervé SITRUK
Tout à fait. C’est là où la stratégie européenne doit être clarifiée.
Jérôme RAGUENES
Martina Weimert a repris l’ensemble des éléments que je voulais ajouter. Effectivement, quand on regarde ce qui se passe en dehors de l’Europe, certes les chinois ont leur e-yuan mais qui (selon ce qui me remonte) n’est quand même pas un franc succès. Côté américain, ils ont une approche très pragmatique qui est de savoir où est le business, où sont les cas d’usage, et s’il y des cas d’usage qui ne sont pas couverts. Mes selon mes dernières informations (qui remontent à la semaine dernière), il ne semble pas que la Fed se penche sur ce sujet.
Mais, comme Bastien Lafon l’a évoqué, il y a un cas d’usage qui existe, c’est le wholesale. Malheureusement il n’est pas traité, mais là il y a de vrais cas d’usage, pour les banques mais aussi et surtout pour les entreprises. Il y a un réel besoin et si jamais la banque centrale devait poursuivre ses travaux sur l’euro numérique, elle serait bien inspirée de regarder la partie wholesale avant la partie retail car, comme le disait Martina Weimert, on ne peut pas mener des projets d’une telle ampleur sur les paiements, les infrastructures, sur l’ensemble de l’écosystème (car ce ne sont pas que des banques mais aussi des entreprises, des administrations, et toute l’économie qui doit investir sur un sujet dont on ne comprend même pas à quoi cela va servir.
Hervé SITRUK
Merci beaucoup à nos quatre orateurs