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Intervention d’Eric Ducoulombier de la Commission Européenne

"Le point sur les projets réglementaires en cours" lors de la Plénière FPF du 12 Novembre 2024

Les projets de règlement et de directive sur les services de paiement

Pour mémoire, la Commission, a présenté ses propositions en juin 2023, et les colégislateurs (le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne), se sont emparés du dossier.

Le Parlement, qui voulait absolument finir son travail avant les élections européennes du printemps 2024, a adopté sa position en séance plénière en avril dernier. Depuis lors c’est un peu le calme plat, mais signalons quand même que les deux rapporteurs (DSP3 et RSP) ont changé : l’un n’a pas été réélu, l’autre a changé de groupe et a donc perdu le dossier. Nous avons par conséquent deux nouveaux rapporteurs (un allemand et un danois), mais je ne les ai pas encore rencontrés.

Le Parlement est actuellement absorbé à 100% par les auditions des nouveaux commissaires. Et de toute façon, il n’y a plus vraiment de travail actif à accomplir du côté du Parlement, puisque le Parlement précédent avait déjà adopté sa position.

Le projet de règlement (RSP)

Au niveau du Conseil, les travaux avancent à un rythme relativement lent sous présidence hongroise. L’objectif officiel reste de parvenir à un accord général sous présidence hongroise (donc avant la fin de l’année) mais je n’ai pas l’impression qu’on y sera car les divergences de vues entre les États membres se cristallisent sur un sujet très important : la fraude.

En bref, les discussions tournent autour de trois sujets.

  • Premier sujet: la frontière entre transaction autorisée et non autorisée. Dans le contexte des nouvelles techniques de fraude (manipulation, spoofing…), cette frontière devient difficile à tracer, et c’est une pierre d’achoppement importante car différentes traditions juridiques s’affrontent.
  • Deuxième sujet: la prévention. Nous avons proposé un certain nombre d’actions de prévention de la fraude dans notre proposition. Mais certains États membres veulent aller plus loin, notamment sur le partage des données entre banques. Nous y sommes tout à fait favorables, mais au-delà des déclarations d’intention, il faut bien évidemment s’entendre sur des standards précis. Cela étant, le volet prévention est celui qui est le moins controversé.
  • Troisième sujet: le remboursement. Lorsque la prévention a malheureusement échoué, qui doit payer ? Différentes thèses s’opposent quant au « partage de l’addition » entre les différents acteurs de la chaîne : les consommateurs, les banques, mais aussi un troisième acteur qui émerge, les opérateurs de télécoms, de plateformes, de sites. En effet, la fraude dans les paiements trouve très souvent sa source en amont (usurpation d’identité téléphonique, faux sites internet…). Il y a donc un sentiment croissant qu’il est injuste de faire peser la charge du remboursement uniquement sur deux acteurs (le consommateur et la banque) alors même qu’un troisième acteur peut aussi, par ses actions ou ses inactions, avoir une part dans le problème. Mais dans quelle mesure cette « part dans le problème » doit-elle être reflétée dans les textes ?

Il y a d’autres sujets de discussion au niveau du Conseil, par exemple l’open banking ou la monnaie électronique, mais c’est la fraude qui ralentit les travaux du Conseil. La Commission tente de jouer son rôle en apportant un avis technique, mais il faut que les Etats membres et le Conseil se positionnent par rapport à notre proposition. Nous sommes tout à fait prêts à l’améliorer, mais il faut que le Conseil sache dans quelle direction il veut aller. Or pour l’instant, au-delà des grandes déclarations contre la fraude sur lesquelles tout le monde peut se retrouver, aucune majorité ne se dégage.

La présidence belge avait bien avancé, mais au lieu de capitaliser sur les travaux menés sous présidence belge (et, avant elle, sous présidence espagnole), la présidence hongroise a commencé par essayer de trouver une autre voie, avant de revenir à une approche s’inscrivant un peu plus dans la continuité.

Tout cela a fait perdre du temps, de sorte qu’il serait déraisonnable d’imaginer un accord au niveau du Conseil d’ici la fin de l’année. La future présidence polonaise est prête à reprendre le flambeau au 1er janvier 2025.

J’imagine que le Parlement est également impatient de se retrouver en trilogue au printemps prochain pour finaliser le tout, car il y a un besoin et une attente. Mais c’est la démocratie législative européenne : ça peut être frustrant, mais il faut en passer par là.

Le projet de directive (DSP3)

Sur la DSP3 il y a moins de sujets de controverse que sur le RSP, mais le diable se cache dans les détails. Des sujets tels que l’articulation entre la DSP3 et MiCA ou l’articulation avec la monnaie électronique requièrent encore des travaux substantiels, auxquels la Commission participe pleinement mais qui prennent du temps.

Le paquet législatif sur l’euro numérique et sur le cash

L’euro numérique et le cash sont deux sujets intrinsèquement liés. Bien sûr, ce sont deux négociations distinctes, avec deux groupes de travail différents, mais les sujets sont liés. Ceci signifie que l’attelage avance au rythme du plus lent.

 

L’euro numérique

Au niveau du Conseil, sous présidence hongroise, un groupe de travail se réunit chaque mois et, à chaque fois, sur un thème. Chaque thème est tellement important et complexe qu’il occupe une journée entière. Par exemple, le thème de la réunion d’octobre était la rémunération (compensation) : comment parvenir à une juste rémunération des différents acteurs de la chaîne dans le domaine de l’euro numérique. Et le thème de la réunion de novembre (la semaine prochaine) sera les limites de détention (holding limits). 

Pour l’instant, il ne semble pas qu’une majorité claire se dégage sur ces différents thèmes au niveau du Conseil et il serait irréaliste d’imaginer un accord politique d’ici à la fin de l’année. 

Les deux présidences qui suivront (Pologne puis Danemark) seront exercées par des pays hors zone euro. Chaque présidence a le devoir de faire avancer les dossiers, mais bien sûr une présidence peut être plus ou moins active, plus ou moins dynamique et plus ou moins motivée pour faire avancer tel ou tel texte. Donc il est vrai que la configuration des  planètes n’est pas optimale pour l’euro numérique.

Au niveau du Parlement, c’est le calme plat. Comme je l’indiquais tout à l’heure, le parlement est pour l’instant complètement absorbé par l’audition des différents commissaires.

À la différence du paquet DSP/RSP, il n’y a pas eu de changement du rapporteur principal pour l’’euro numérique. C’est toujours M. Berger (PPE allemand) qui est aux commandes. Il avait déjà fait un rapport sous le Parlement précédent. Mais pour l’instant, je ne perçois pas de volonté du Parlement d’avancer rapidement sur le dossier de l’euro numérique, qui est un dossier miné. C’est un dossier certes très technique mais aussi et surtout très politique. Et les enjeux politiques se retrouvent naturellement dans une enceinte politique telle que le Parlement européen. Les choses vont donc prendre du temps.

Le cash

Même si le dossier cash est moins compliqué que l’euro numérique, il soulève quand même des questions particulièrement complexes, notamment celle des « exclusions unilatérales » : dans quelle mesure, un commerçant peut-il afficher sur sa devanture un petit écriteau indiquant « cash non accepté » ?

Peut-on à la fois avoir la reconnaissance du legal tender du cash, c’est-à-dire de l’aspect libératoire d’un paiement en cash, tout en ayant des commerçants qui s’affranchissent de cette obligation d’accepter le cash ?  Il peut y avoir des situations où, en fonction du modèle économique, du produit ou du service vendu, ça peut se comprendre. Donc on essaie de voir dans quel contexte ça pourrait s’envisager tout en restant une exception.

Le virement instantané

Le travail des colégislateurs étant achevé, le sujet est celui de la mise en œuvre, avec l’obligation de recevoir à compter de janvier 2025, l’obligation de pouvoir émettre à compter d’octobre 2025, et aussi la Verification of Payee (VoP), dossier piloté par l’EPC qui fait un très gros travail et a déjà mis sur la table, un VoP scheme, après des mois de consultations.

Les choses se mettent donc en place et on voit maintenant qu’aux quatre coins du monde, on parle désormais de VoP. Certes, je ne vais pas prétendre que nous sommes à l’origine de tout cela, mais nous avons certainement donné un coup d’accélérateur à la VoP.

L’EPC est par ailleurs en train de mettre à jour son scheme sur les virements instantanés afin qu’il soit aux normes législatives, et ça a été pour l’EPC un travail herculéen pour faire en sorte que les modifications de son scheme arrivent à temps pour la mise en œuvre des nouvelles règles législatives européennes.

Merci de votre attention

Questions-réponses

Question 1 (Hervé Sitruk)

Dans le domaine des paiements, l’élection présidentielle américaine a-t-elle provoqué une relance de la réflexion, un sursaut côté européen ?

Eric Ducoulombier

L’élection présidentielle américaine remonte à seulement quelques jours. Mais il est vrai qu’elle ne fait que renforcer l’idée et la nécessité pour l’Europe de maîtriser ses infrastructures, ses activités critiques. C’était déjà le cas avant, puisque les paiements étaient considérés au niveau politique comme une activité essentielle, comme une activité critique. Mais maintenant, évidemment, avec l’incertitude qui est suscitée par l’élection de Donald Trump, je pense qu’on va accélérer le mouvement dans le sens de la souveraineté et de l’autonomie stratégique. Et les paiements ne vont bien évidemment pas y échapper, bien au contraire.

Question 2 (Hervé Sitruk)

Aux États-Unis et partout dans le monde, on voit une accélération des cryptopaiements. Est-ce un sujet sur lequel vous vous penchez, à côté de MiCA ?

Eric Ducoulombier

Nous sommes en train de nous livrer à une lecture combinée des obligations MiCA et des obligations DSP2 pour voir dans quelle mesure certains prestataires de services de crypto, peuvent aussi être considérés, dans certains cas, comme des prestataires de services de paiement. C’est un très complexe car le sujet n’a peut-être pas été suffisamment clarifié dans les négociations MiCA. Tout le monde attendait la DSP3 pour régler le problème, mais il y aura in fine 3 ou 4 ans entre l’entrée en vigueur de MiCA et l’entrée en vigueur de la DSP3. Cela étant, on peut se réjouir d’avoir, avec MiCA, anticipé la mise en place d’un cadre réglementaire qui inspire de nombreux pays à travers le monde.

Question 3 (Emmanuelle Choukroun)

Vous avez salué le travail herculéen de l’EPC pour la mise en conformité de son scheme avec le règlement sur le virement instantané. Mais on voit que tout cela est gratuit, il n’y a pas de compensation. Et en même temps il y a la volonté, côté européen, d’avoir des champions qui vont innover et proposer des services à valeur ajoutée. Ma question est donc : est-il envisageable de revenir sur le principe d’absence de compensation pour tout ce qui est services Open banking, dans la mesure où, une fois qu’on a fait tous les investissements contraints, on n’a plus rien pour innover ?

Eric Ducoulombier

Il est vrai que dans notre proposition de RSP nous n’avons pas envisagé la possibilité d’une compensation, du moins s’agissant de l’Open banking réglementé. Mais nous sommes dans un processus institutionnel de co-décision avec les colégislateurs (le Parlement et le Conseil). À ce stade des négociations, ce sont les colégislateurs qui ont la main. S’il se dégageait une majorité au Parlement et au Conseil pour autoriser une compensation, la Commission devrait se positionner là-dessus. Mais je n’ai pas encore détecté de frémissement de leur part pour aller dans ce sens-là.

Il n’y a effectivement pas de possibilité de compensation pour la sphère réglementée. En revanche, au-delà de la sphère réglementée par la DSP2 et bientôt la DSP3 et le RSP, il y a un espace où la liberté commerciale peut pleinement s’exercer et qui est celui des services d’open banking à valeur ajoutée. Il y a aujourd’hui un nouveau scheme qui s’appelle le SPAA, dont le démarrage semble un peu laborieux, en tout cas de la part des banques, alors qu’il permettrait une compensation (dans certaines limites, notamment celles du DATA Act européen) pour la fourniture de services à valeur ajoutée, y compris dans le domaine des paiements et de l’Open banking paiement.

Question 4 (Jacques Vanhautère) 

Je salue le travail pharaonique que toi et tes équipes avez accompli avec les Q&A sur l’IPR[1].   Ces Q&A ont permis de clarifier beaucoup de choses, mais ce ne sont que des Q&A et le texte de base reste quand même l’IPR. Ma question est donc : allez-vous profiter de la discussion en trilogue pour enrichir le RSP des éléments qui ont été stabilisés dans les Q&A ?

Eric Ducoulombier

Merci pour tes appréciations de notre travail. Effectivement, ces Q&A sont des clarifications mais n’ont pas de valeur contraignante.  Si l’occasion se présente, nous ne nous priverons pas d’enrichir les textes avec ces clarifications. Il faudrait bien sûr que ces clarifications, qui portent sur l’IPR, trouvent leur place et leur pertinence dans le paquet DSP/RSP.

Comme je l’ai dit plus haut, à ce stade du processus institutionnel la Commission n’a plus la main. Ce sont les colégislateurs qui ont la main, mais nous pouvons tout de même leur faire des recommandations. Donc si tu as des exemples précis de telle ou telle clarification qui pourrait trouver sa place dans le paquet DSP/RSP, n’hésite pas à m’en faire part.

Question 5 (Hervé Sitruk)

La Retail Payments Strategy (RPS) a été présentée par la Commission européenne en septembre 2020. Depuis lors, beaucoup de choses se sont passées : l’euro numérique, beaucoup de textes autour des paiements, et aussi des textes mais qui concernent indirectement les paiements (MiCA, DSA, DMA, DORA, identité numérique…). Est-il prévu de réviser la RPS pour fixer le plan de travail de la nouvelle législature ? 

Eric Ducoulombier

C’est une question que je me pose également. En 4 ans et demi, dans le domaine des paiements, on a vu arriver l’euro numérique, la tokenisation, les wallets, l’intelligence artificielle… Si on devait aujourd’hui réécrire la stratégie, tout cela occuperait une place plus importante. En revanche, les grands objectifs et la vision qui étaient ceux de la RPS de septembre 2020 sont toujours là.

Comme vous pouvez l’imaginer, ceci fait partie des sujets que j’apporterai sur la table lors de mes premières discussions avec la future nouvelle commissaire.  Je l’ai déjà rencontrée pour la préparation de son audition par le Parlement européen mais je la verrai de nouveau dans une configuration différente, quand sa nomination aura été confirmée. Il y aura un débat sur la question de savoir si une nouvelle stratégie au niveau plan d’action est nécessaire. Il me semble que pour certains la réponse est oui mais que d’autres estiment que ce n’est pas nécessaire. À titre personnel, je pense que ce serait une bonne idée car il est toujours utile d’avoir un cadre avant de commencer un mandat. Ce n’est pas une décision qui m’incombera, mais je le proposerai à la nouvelle commissaire.

Hervé Sitruk

Merci beaucoup, Eric.

[1] Clarification of requirements of the Instant Payments Regulation (europa.eu) (23 juillet 2024)

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