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Plans stratégiques pour les paiements : Quels objectifs en France ? Quelle cohérence au plan européen ?

Le nouveau plan stratégique français pour la période 2025-2030, et la révision du plan stratégique européen,

FPFHervé SITRUK, Président, FRANCE PAYMENTS FORUM

Le CNMP vient de rendre sa copie. Il a élaboré le nouveau plan stratégique français pour la période 2025-2030, qui fixe les grandes priorités françaises dans les paiements.

Au niveau européen, après l’élection du nouveau Parlement européen et à la veille de 2025, la question d’actualité est à la fois la finalisation du paquet législatif préparé par l’ancienne Commission européenne et proposé fin juin 2023, et la révision de la stratégie   européenne pour les paiements de détail (Retail Payments Strategy) qui avait été adoptée par la Commission européenne en septembre 2020.

Du côté de l’Eurosystème, un plan stratégique principalement centré sur l’euro numérique est mis à jour chaque année depuis 2021.

La question est donc double : comment assurer la cohérence et la synergie entre ces diverses démarches ? Et comment ces divers plans permettront-ils à l’Europe de répondre à son triple objectif dans les paiements : souveraineté, défragmentation et compétitivité ?

  1. Le nouveau plan stratégique français

Le nouveau plan stratégique français est organisé autour de trois axes, eux-mêmes déclinés en quinze objectifs pour les rendre directement opérationnels. Ces trois axes sont :

  1. Confiance et durabilité : garantir des paiements sûrs et résilients, inclusifs et plus durables ;
  2. Anticipation et innovation : promouvoir et accompagner de nouveaux usages en matière de paiements ;
  3. Attractivité et souveraineté : poursuivre l’intégration européenne et renforcer l’autonomie française et européenne dans les paiements.

 

Ce plan stratégique est marqué par une triple volonté :

  • Assurer une position commune de toute la Place de Paris ;
  • Assurer la continuité du plan précédent pour la modernisation des paiements électroniques en France, et participer aux évolutions qui se dessinent pour le futur ;
  • Et s’inscrire davantage dans la stratégie européenne des paiements, et dans l’objectif européen de souveraineté.

 

Comme l’a déclaré Erick Lacourrège, Directeur général des moyens de paiement à la Banque de France et président du CNMP, ce plan « témoigne de la très forte ambition de l’ensemble de l’écosystème des paiements ». 

Sur le deuxième axe, la poursuite de la modernisation des paiements électroniques, l’objectif est triple : simplifier les usages quotidiens dans les paiements, protéger les données et développer en continu de nouvelles solutions, comme l’a rappelé Thierry Laborde, président de la Commission d’orientation des moyens de paiement à la FBF et vice-président du CNMP.

Sur le troisième axe, ce plan stratégique « s’inscrit résolument en cohérence avec les orientations stratégiques définies depuis 2021 par la Commission européenne et l’Eurosystème », comme l’a rappelé Gabriel Cumenge, sous-directeur des banques et des financements d’intérêt général à la Direction générale du Trésor, en insistant sur « l’importance de la souveraineté française et européenne en matière de paiements ».

Parmi les grands sujets mis en avant dans cette stratégie, nous retiendrons :

  • La priorité donnée au déploiement du paiement instantané, à la fois pour contribuer à la souveraineté européenne vis-à-vis des schemes internationaux, pour réaffirmer la place des solutions du marché dans le domaine des paiements comme avec le projet européen Wero, et pour participer à la défragmentation du marché européen, comme l’a souligné Gabriel Cumenge, en insistant sur la place du virement instantané, « le meilleur garant de notre autonomie stratégique »;
  • La volonté de placer l’euro fiduciaire et l’euro numérique au cœur de la stratégie française, mais à côté du virement instantané et en ménageant les initiatives bancaires, comme l’a rappelé Erick Lacourrège, « en couvrant l’ensemble des moyens de paiement, des espèces aux nouveaux usages dématérialisés » ;
  • La réaffirmation de la liberté de choix du consommateur, au moment où le cours légal de l’euro fiduciaire est conforté en France et en Europe et où se profile, dans la période couverte par cette stratégie, le lancement probable de l’euro numérique ;
  • Le poids économique de ces solutions de paiement, et notamment les frais prélevés par les acteurs internationaux, supportés par les accepteurs français, dans un contexte où ces derniers sont « confrontés à des acteurs dominants internationaux qui imposent leurs tarifs et leurs technologies, façonnant ainsi à leur avantage les usages du futur », comme l’a rappelé Françoise Segurel, présidente de la Commission moyens de paiement de l’Association Française des Trésoriers d’Entreprise (AFTE) et vice-présidente du CNMP.

 

Sur le deuxième axe de cette stratégie, rappelons que l’euro fiduciaire a fait l’objet d’un très important investissement de la Banque de France (projet « Refondation »), et qu’il voit son rôle réaffirmé en France, avec le cours légal, dont la définition est en cours d’harmonisation au plan européen, et le rappel d’une acceptation par les commerçants « tous les jours et lors des manifestations de toute nature ». 

Ce plan est complété par un volet important sur la lutte contre la fraude aux moyens de paiement, qui devient l’objectif N°1 de ce plan, une priorité de la période, comme l’ont rappelé les divers orateurs en insistant sur l’importante campagne nationale de sensibilisation engagée par le ministère de l’économie et des finances, la Banque de France, la FBF et l’OSMP en ce domaine.

Le plan est aussi complété par la volonté de poursuivre un double objectif qui devient désormais impératif :  

  • D’accompagnement envers les populations handicapées, notamment avec la fracture numérique,
  • Et de développement d’un volet environnemental qui, dans les paiements, prend une place majeure, notamment avec le coût énergétique des infrastructures.

 

Mais parmi, les actions phares, nous retiendrons également le soutien au Groupement des Cartes Bancaires, qui fête cette année les 40 ans de sa création, et qui a lancé un plan dit de « réarmement » face aux schemes internationaux ; et une réflexion majeure sur la question du co-marquage (ou co-badgeage).

Sur ce point, le rapport indique que « le CNMP se mobilisera pour préserver la place centrale du réseau CB dans le traitement des transactions nationales, en encourageant notamment les initiatives permettant d’ancrer dans la durée les pratiques de co-badgeage sur tous les segments d’usage de la carte, y compris les plus innovants (paiement par mobile, paiement par internet, abonnements, etc.) ».

Ce plan requiert l’engagement de tous, et FRANCE PAYMENTS FORUM y pendra sa part avec détermination.

Mais, ce plan nécessite des compléments, pour mieux éclairer divers domaines, encore insuffisamment explorés en France, comme les cryptopaiements et la tokenisation, et pour préparer les prochaines échéances en termes d’identité numérique, de signature électronique, d’Intelligence artificielle, et bien d’autres encore qu’explorent les groupes de travail de FRANCE PAYMENTS FORUM

  1. La révision du plan stratégique européen

Comme indiqué dans mon éditorial de septembre dernier, après l’élection du nouveau Parlement européen et la mise en place de la nouvelle Commission européenne, il faut revoir la Stratégie européenne dans les paiements de détail (la Retail Payments Strategy), et ce sur trois axes :

(1) une stratégie européenne stable, coordonnée, consensuelle, partagée avec tous les acteurs de la chaîne des paiements, avec un cadre unique et commun à la Commission européenne, à la BCE, et aux divers Etats européens ;

(2)  une stratégie européenne active et transformatrice ;

(3)  une stratégie européenne cohérente en matière de moyens de paiement.

Pour nous, ce qui manque le plus au plan européen, c’est un plan global, qui permettrait de sortir l’Europe des paiements de la domination des acteurs internationaux, malgré la qualité de leurs solutions ou de leurs propositions.

D’abord, clarifions ce point : les acteurs internationaux en Europe bénéficient d’un marché important et majeur, l’un des premiers du monde, mais en profitent pour « pomper » la valeur ajoutée européenne afin de financer leur croissance et investir dans les technologies d’avenir comme dans l’Intelligence artificielle aujourd’hui ou le quantique demain. Et pour ce faire, ils augmentent substantiellement leurs tarifs en profitant de leur position oligopolistique. C’est ce que nous a bien rappelé M. Henri d’Agrain, Délégué général du Cigref, qui regroupe les Directeurs des technologies numériques des grands acteurs français, privés et publics. Si l’Europe ne dispose pas de ses propres solutions technologiques, elle ne pourra plus investir dans le futur.

Mais l’Europe des paiements accepte sa fragmentation comme inéluctable et résultant de différences culturelles centenaires, voire millénaires, alors que les acteurs internationaux imposent leurs solutions, en faisant fi de ces différences.

L’Europe défend ses entreprises nationales au détriment de la création d’entreprises européennes, chaque État privilégiant sa souveraineté nationale, mais souhaitant profiter du marché européen.

L’Europe met en place une règlementation très avancée, notamment en matière de concurrence ou de contrôle des entreprises innovantes, comme dans les cryptoactifs, mais ce faisant, elle stérilise de nombreuses initiatives, tout en laissant le marché aux acteurs internationaux et aux places financières voisines.

Il n’y a plus de choix, ni sur la priorité, ni sur le timing. L’Europe doit dans son prochain plan stratégique pour les paiements organiser une réflexion européenne globale, pour poser aux divers Etats européens les trois séries de questions suivantes:

  • Comment appliquent-ils les règlementations européennes, et que proposent-ils pour contribuer à leur efficacité et à la réduction de la fragmentation européenne, à l’accroissement de la souveraineté européenne et à la compétitivité européenne ?
  • Comment les marchés domestiques profitent-ils des meilleures initiatives industrielles européennes et comment promeuvent-ils leurs meilleures solutions au plan européen ?
  • Comment éviter une compétition stérile entre infrastructures domestiques et comment doter l’Europe d’infrastructures communes paneuropéennes, en nombre restreint et compétitives au plan mondial ?

 

Il faut donc, que le plan stratégique européen soit élaboré en concertation entre la Commission, la BCE et les communautés nationales, et s’accompagne de plans nationaux dans chacun des pays européens. La France montre le chemin. Il faut que ce chemin soit balisé et structuré au plan européen, et que chaque État et communauté nationale y contribue.

C’est cet objectif majeur qu’il faut désormais poursuivre. Il faut à la fois appliquer collectivement le plan stratégique national et œuvrer à inscrire ce plan et celui des divers Etats européens dans un cadre commun. Pour cela, il faut créer une véritable association européenne des paiements, dirigée par des européens pour des européens. C’est certes un objectif ambitieux, mais c’est la condition du succès de la réflexion européenne, en créant une véritable conscience européenne dans les paiements.

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