FPF Plénière mensuelle du 10 décembre 2024 – Synthèse de l’intervention de David RENAULT
Rappels sur le nouveau règlement sur le virement Instantané (Instant Payment)
Le règlement Instant Payment est entré en vigueur le 8 avril 2024. Il s’appliquera en deux phases, selon que le PSP envoie ou reçoit des paiements instantanés. Pour la réception de paiements instantanés, le prestataire de services de paiement disposera de neuf mois à compter de la date d’entrée en vigueur pour s’y conformer. Cela signifie que d’ici au 9 janvier 2025, tous les prestataires de services de paiement de l’UE devront être en mesure de recevoir des paiements instantanés de leurs clients.
La deuxième phase débutera après 18 mois, c’est-à-dire le 9 octobre 2025. À cette date, tous les prestataires de services de paiement de la zone euro devront offrir à leurs clients la possibilité d’envoyer des paiements instantanés.
Dans nos systèmes, la croissance du virement instantané a été très soutenue ces dernières années et elle va probablement s’accélérer avec le règlement Instant Payment, mais cela n’a pas pour autant diminué la croissance du virement classique. Nous allons donc continuer à investir à la fois sur notre système batch (STEP2) et sur notre plateforme temps réel (RT1)[1].
La réduction du temps de traitement des virements
L’un des impacts principaux du règlement Instant Payment est la réduction du temps de traitement global des virements instantanés d’un point de vue interbancaire : aujourd’hui, on a un temps de traitement maximum de 20 secondes, qui devra être ramené d’ici octobre 2025 à 7 secondes. Cela semble exigeant, mais d’ores et déjà, sur nos systèmes, 99,7% des paiements sont traités en moins de 7 secondes. Les 0,3% qui dépassent les 7 secondes concernent quelques PSPs avec lesquels nous avons déjà engagé un dialogue pour les inviter à optimiser leurs process afin de ramener leur temps de traitement global en dessous des 7 secondes (et, dans l’idéal, en-dessous de 5 secondes).
La gestion de la liquidité
Un autre impact du règlement Instant Payment est l’augmentation du montant maximum du virement instantané. Celui-ci avait été fixé dans un premier temps à 15 000 euros, puis relevé à 100 000 euros. Ce plafond a été supprimé, et on se trouve donc avec les mêmes limites que pour le virement classique. Ce n’est pas totalement trivial, car cela aura des impacts assez importants sur la gestion de la liquidité. Aujourd’hui, il est extrêmement rare de voir, dans nos systèmes, un participant dont les paiements sont rejetés à cause d’un manque de liquidité. Cela risque de ne pas être le cas dans le futur.
Mais, ce risque va être limité. Jusqu’en 2021, les CSM (Clearing and Settlement Mechanisms) tels que RT1 ou STET devaient utiliser la liquidité Target, mais le problème était que Target n’est pas ouvert 24 heures sur 24. Depuis 2021, les CSM doivent se connecter à TIPS (la plateforme temps réel de l’Eurosystème) et ont donc accès à la liquidité 24 heures sur 24, ce qui a largement diminué le risque de liquidité.
Nous offrons à nos participants des outils très performants qui leur permettent une quasi-automatisation de la gestion de leur liquidité. Sur la base de paramètres déterminés par le trésorier en fonction de ses plafonds et de sa zone de confort, le système va de temps en temps ajuster la liquidité en ramenant de la liquidité de TIPS vers RT1 ou, à l’inverse, en renvoyant de la liquidité de RT1 vers TIPS. En 2025, nous allons ajouter des points de contrôle supplémentaires dans la journée pour faire face à la progression des Instant payments, mais la base de nos outils restera la même.
Il faut aussi parler du coût d’utilisation de cette liquidité. Effectivement, pour une banque, l’Instant Payment est plus coûteux (en termes d’usage de liquidité) qu’un traitement batch. C’est toutefois partiellement compensé par le fait que les CSM ont des comptes techniques dans les plateformes de l’Eurosystème (TIPS et Target) qui permettent de placer la liquidité des participants dans ces systèmes, où elle est rémunérée.
Les adresses structurées
Quand on effectue un virement, on a le plus souvent a minima le nom du donneur d’ordre, le nom du bénéficiaire et son IBAN. Mais dans certains cas, il faut aussi inclure l’adresse postale. Aujourd’hui, l’adresse postale est une donnée qu’on appelle « non structurée ». Depuis mars 2024, il est possible de la fournir sous forme structurée. En 2025, sera introduite l’adresse « hybride », c’est à-dire une combinaison d’éléments structurés et non structurés. Mais en 2026, les adresses non structurées devront disparaître, ce qui aura des impacts assez forts sur la chaîne de traitement des paiements.
Le Request-to-Pay
Le Request-To-Pay est une autre évolution importante de l’Instant Payment. L’ABE Clearing a été sélectionnée par l’administration italienne pour fournir le système de Request-to-Pay (R2P) pour les paiements de l’administration publique, c’est-à-dire l’équivalent italien du site internet on-time pour le paiement des amendes (stationnement, excès de vitesse…) ou de certaines taxes. C’est un partenariat avec un champion local, CBI[2], qui a été retenu ; CBI connait bien le marché local Italien, notamment sur tout ce qui est Open banking.
Ce partenariat sera notre premier cas d’usage en production de notre plateforme de Request-to-Pay, qui est une plateforme de temps réel. Sans le Request-to-Pay, je dirais que l’Instant Payment est une simple évolution (les paiements vont plus vite). Avec le Request-to-Pay, on peut avoir une révolution, c’est-à-dire que la combinaison d’un Request-to-Pay et d’un Instant Payment permet de traiter quasiment tous les cas d’usage, y compris l’e-commerce ou le paiement chez un commerçant.
Certes, avec l’IP, nous sommes encore très loin de pouvoir concurrencer Visa et Mastercard en Europe, mais à tout le moins, ce sont des briques souveraines, c’est-à-dire des technologies, des acteurs, des schemes qui sont 100% européens. Nous allons bien sûr suivre avec beaucoup d’attention le développement de Wero, qui en est un cas d’usage très intéressant.
Deux sujets sur la fraude.
- Les chiffres montrent que les demandes de retour de fonds (recall) avec comme motif « fraude » sont 6 fois plus importantes sur l’Instant Payment que sur le virement traditionnel, ce qui est considérable. Nous allons donc continuer d’inciter nos participants à utiliser notre solution de détection des anomalies appelée FPAD (Fraud Pattern and Anomaly Detection), qui utilise notamment des fonctionnalités d’intelligence artificielle, en particulier l’analyse des réseaux de neurones. Un réseau de paiement est en effet très analogue à un réseau de neurones pour permettre de déterminer des tendances, de détecter des anomalies par rapport à ces tendances et d’informer en temps réel nos participants pour qu’ils puissent éventuellement prendre une action avant même l’émission du paiement. Et si ce n’est pas le cas, pour avoir des outils d’analyse a posteriori afin d’améliorer le taux de détection des fraudes et diminuer les « faux positifs ».
Notre système est live depuis mars 2024, et nous avons d’excellents retours de nos PSP pilotes : certains font état d’une baisse de 30% à 35% du taux de fraude. Mais restons prudents car on sait que les fraudeurs ont de grandes capacités d’adaptation.
- Nous travaillons aussi fortement sur l’inclusion la VOP (Verification of Payee) suivant les standards et les règles de l’EPC. Nous aurons donc avant octobre 2025 une fonctionnalité VOP ajoutée à FPAD[3].
Les paiements cross-border
En novembre dernier, nous avons installé la plateforme technique de traitement des paiements cross-border basés sur le scheme OCT Inst de l’EPC (One Leg Out Instant Credit Transfer Scheme,[4]). Il s’agit à ce stade d’un lancement technique, et il n’y a pas encore de banque pilote pour commencer les tests (ce sera pour 2025).
Nous avons fait une « pause stratégique » sur l’initiative IXB (Immediate Cross-Border Payments)[5], qui est un projet d’interlinking entre des plateformes de paiement instantané en Europe et d’autres plateformes internationales de paiement instantané, en particulier The Clearing House (l’équivalent d’EBA Clearing aux États-Unis). Nous allons commencer l’implémentation sans avoir de liens techniques entre les systèmes mais en ayant des règles communes.
Pour autant, IXB n’est pas mort et nous sommes convaincus qu’il a beaucoup de valeur ajoutée. En effet ce qui se passe avec un virement cross-border basé sur le scheme de l’EPC est qu’une fois que le paiement a quitté la zone SEPA, du point de vue du système qui a traité la jambe « euro » du paiement, on pourrait croire que le travail est terminé. En réalité le voyage continue, et le paiement va passer par un certain nombre d’intermédiaires. Nous sommes en train de travailler avec Swift pour pouvoir, en 2025, mettre à jour le GPI tracker directement depuis l’infrastructure afin d’être en mesure de suivre le paiement de bout en bout.
Avec le concept IXB, on ne considère pas le paiement comme ayant deux « jambes » (l’une dans une devise, l’autre dans l’autre devise), mais comme un seul ordre. Et pour cela, nous avons décidé de lier les deux systèmes avec un ensemble de règles communes qui permettraient (i) de suivre le paiement de bout en bout sur tout avec une transparence complète et (ii) de garantir des temps de traitement de l’ordre de quelques secondes, même pour des paiements cross-border. C’est le futur, plus ou moins proche : l’avenir nous le dira.
Merci de votre attention.
Hervé Sitruk
Merci beaucoup David. Nous allons nous limiter à une question de l’audience.
Question
Y a-t-il beaucoup de banques qui ont fonctionnées sur le One Leg Out Instant Credit Transfer Scheme (OCT Inst ?)
David Renault
Pas beaucoup. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le registre de l’EPC, qui vous donnera le nombre d’établissements qui se sont inscrits dans ce scheme. Je crois qu’aujourd’hui, ce sont uniquement des banques espagnoles et qu’à ce jour il n’y a aucune banque française.
Mais je pense que des banques françaises devraient être intéressées puisque la plupart d’entre elles ont de fortes activités à l’international, avec sur certains corridors particuliers, des liens qui pourraient servir de points d’entrée et de sortie pour ces paiements.
L’Espagne a déjà un lien en production avec l’Amérique du Sud. L’Espagne est déjà active sur le scheme, et ce sera aussi notre premier cas d’usage puisque nous sommes en train de travailler avec Iberpay (le CSM espagnol), car les paiements qui arrivent en Espagne ne peuvent pas sortir d’Espagne. L’EBA Clearing peut leur donner une ouverture vers les autres pays de la zone euro. Encore faut-il qu’il y ait des participants en France, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas…qui adhèrent à ce scheme et soient prêts à fournir le reach car, comme vous les savez tous, le reach est la base de tout système de paiement.
Hervé Sitruk
Merci David.
[1] L’opérateur technique des systèmes de l’ABE-Clearing est la société NEXI Group qui est un nouveau membre de FRANCE PAYMENTS FORUM
[2] CBI est une société italienne par actions et une société à mission ayant plus de 30 ans d’expérience dans les paiements B2B et B2C, et qui compte plus de 450 institutions financières et prestataires de services de paiement parmi ses clients. CBI développe des infrastructures, des services innovants et des écosystèmes numériques pour le secteur financier, prenant en charge les paiements numériques, les transactions bancaires, la présentation et le paiement électroniques de factures (EIPP) ainsi que les solutions d’Open Banking et d’Open Finance.
Signalons que SEPAmail.eu et CBI ont signé le 9 octobre 2024 un accord unissant leur expertise en matière d’IBAN Name Check au service de leurs communautés respectives afin de proposer une solution interopérable de lutte contre la fraude
[3] NDR : voir à ce propos le communiqué publié par EBA Clearing le 10 décembre 2024 10 December 2024 – EBA CLEARING launches SEPA-wide VOP solution
[4] NDR : voir à ce propos le communiqué publié par EBA Clearing le 17 décembre 2024 : 17 December 2024 – Pan-European OCT Inst Service goes live in RT1
[5] NDR : voir à ce propos le communiqué publié par EBA Clearing le 6 octobre 2022 6 October 2022 – Immediate Cross-Border Payments (IXB) Pilot Set to Revolutionise International Payments